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Peut-être, et c’est l’opinion de Saint-Simon, estimait-il que « le rôle des premières têtes de l’Etat » devait être borné « à des sièges et à des campemens, exempts du hasard des batailles[1]. » Peut-être enfin ne voulait-il pas lui donner l’occasion de s’exposer de nouveau avec autant de témérité qu’il l’avait fait au siège de Brisach. C’est la version qu’adopte Proyart d’après une lettre que le Duc de Bourgogne aurait écrite à Tallart[2]. « Denonville, à force de crier que je me mettois à l’embouchure du mousquet, et que c’est par miracle que je suis revenu de l’armée, a fini par le persuader au Roi et à la Duchesse. Je crois néanmoins n’avoir fait que mon devoir et je ne voudrois jamais paroître dans une armée pour faire moins. Il ne me reste qu’à regretter de n’être pas auprès de vous. » Adoptons aussi cette version, la plus glorieuse pour le Duc de Bourgogne, et puisque, (au début de la campagne, nous l’avons vu bon soldat et vaillant au feu, pardonnons-lui de s’être montré’ à la fin trop mari et trop amoureux.


III

On ne saurait dire quelles considérations déterminèrent Louis XIV à tenir le Duc de Bourgogne à l’écart et à ne lui donner aucun commandement pendant quatre ans. Avait-il discerné qu’en dépit de sa bravoure personnelle, il manquait des qualités qui font un bon général en chef ? Obéit-il, au contraire, à ce sentiment de méfiance qu’il avait gardé de sa jeunesse troublée par la révolte de Condé, et qui lui fit tenir à l’écart de l’armée des princes du sang, tels que Monsieur, son propre frère, ou le prince de Conti, précisément parce qu’ils avaient fait preuve de qualités militaires ? Cela est peu probable. Quoi qu’il en soit, il lui rendit service. La présence du Duc de Bourgogne en Allemagne ou en Flandre n’aurait vraisemblablement empêché ni le désastre d’Hochstaedt, ni celui de Ramillies, et la bonne renommée qu’il s’était acquise demeurait du moins intacte. Cette période de la vie du Duc de Bourgogne n’est pas celle où il apparaît le plus à son avantage. C’est celle, au contraire, où il

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, I. XI, p. 220.
  2. Proyart, t. I, p. 164. Nous n’avons pas retrouvé l’original de la lettre au Ministère de la Guerre, où ont été déposés cependant les papiers de Tallart. Denonville, dont il est question dans cette lettre, était un des six aides du Duc de Bourgogne, que celui-ci avait envoyé à Versailles pour annoncer la capitulation de Brisach. Il était fils de l’ancien sous-gouverneur du Prince.