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esthétique de l’Enfance n’est pas complète. Il y manque les chefs d’œuvre du plus grand de ses peintres, Reynolds, de deux autres très grands, Velasquez et Murillo, de bien d’autres encore. Mais puisque nous sommes dans ce monde enfantin, permettons-nous un instant le stratagème dont les enfans du premier âge nous donnent l’exemple. D’après ce que nous voyons, imaginons ce que nous ne voyons pas. Rappelons-nous l’exposition des Fair Children de Londres et celle des Portraits d’Enfans du quai Malaquais, et aussi les Infantes de Velasquez, et les mendians de Murillo, à la Pinacothèque de Munich, et les joueurs de dés à la Dulwich Gallery, les bébés fils de lords de Reynolds, les enfans de Charles Ier, à Turin et à Windsor, — les Van Dyck du Musée de Dresde, les gamins de Marie Baschkirtseff. Laissons notre souvenir les répartir dans les lacunes du Petit Palais. Nous rassemblerons ainsi l’image de ce que fut à diverses époques cet être si changeant, — l’enfant ? — non pas : l’homme… En regardant le portrait de l’Enfant, nous saisirons peut-être l’intention du père qui le posa et du peintre qui le peignit. En voyant changer l’image de l’Enfant, dans ce miroir que nous en présente l’Art. — nous distinguerons peut-être comment ont changé son éducation et sa vie. Et, quand nous approcherons des images où véritablement s’est reflétée l’Enfance avec toutes ses caractéristiques, nous chercherons quelles sont ces caractéristiques, et quelle est leur beauté. Si nous croyons en démêler quelques-unes, nous souhaiterons que les savans pédagogues qui enseignent et préparent les générations nouvelles ne dédaignent pas de consulter les leçons de la Nature, telles quelles furent aperçues par d’ignorans broyeurs de couleurs, depuis les villages de l’Ombrie jusqu’au seuil des dispensaires de nos grandes cités.


I

Le peintre est, en effet, le véritable historien de l’enfant. Jusqu’à ces derniers temps, où l’on a commencé d’étudier l’enfant en lui-même, pour lui-même, et sans aucune préoccupation de ce qu’il sera plus tard, l’écrivain ne le considérait qu’en raison de ce qu’il était appelé à devenir. Dans les hommes célèbres, le biographe racontant l’enfance pensait à la vie qui l’a suivie. Les enfans des drames ou des poèmes étaient bien plutôt des pierres de touche destinées à mieux éprouver les sentimens des