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lassé, blasé ne retient plus tout ce qu’il perçoit. Le reflet se brouille. Ni les yeux ne sont plus assez neufs, ni l’âme n’est plus assez avide ; un jour même vient où le miroir terni ne reflète plus rien.

L’Art étant le véritable mémorial de celle saison de la vie, et cette saison durant si peu, il semblerait que de tout temps on ait dû faire des portraits d’enfans. C’est cependant un genre très moderne et, au regard de l’histoire tout entière, presque contemporain. L’art antique se soucia peu de l’enfant et pas du tout du portrait individuel d’un enfant. Les sujets de tous ses chefs-d’œuvre sont des besognes d’hommes et de dieux. Si, sur quelque monnaie, on voit un enfant qui étouffe des serpens, c’est un dieu : Hercule. Si, sur des fresques, un enfant court parmi les monstres, expert en l’art d’utiliser le jus de la vigne, c’est encore un dieu : Bacchus. Que, çà et là, on trouve un enfant luttant avec une oie, ou des Amours préposés au foulon, à la forge, aux amphores, aux guirlandes, à la cueillette, aux échelles, ce n’est que dans une assez basse antiquité, et ces figurines ne constituent pas des « portraits. » Même sous le christianisme, qui fit, pour la première fois, d’un enfant des hommes, un Dieu universel, bien des siècles s’écoulèrent avant que l’art s’occupât de donner des compagnons au Petit Jésus. Le Petit Jésus demeura lui-même longtemps invisible, emmailloté dans sa crèche comme on le voit sur la chaire de l’évêque Maximin. Les premiers chérubins sont les portraits des enfans, et probablement les plus humbles, qui jouaient dans les rues de Fabriano, de Gubbio ou de Pérouse. Ce sont vraisemblablement des petits citoyens d’une République italienne, qui, tout empanachés d’ailes, volent autour de Dieu le Père dans l’Assomption du Pérugin. De même que plus récemment c’était la petite fille d’un lord du XVIIIe siècle, morte vieille dame, en 1831, qui voletait dans le fameux tableau des Têtes d’anges de Reynolds.

L’Enfant-Jésus aussi, fut constamment un portrait d’enfant, et, si l’on réunissait tous les bambini des primitifs italiens ou flamands, on aurait une collection quasi complète des attitudes de l’Enfant. Du jour où l’on démaillote le Jésus byzantin, le bébé de Jean de Pise, chacun de ses gestes est une expression directe de l’enfance. Il s’élance de tout le haut de son corps retenu par le bras maternel vers les pieux donateurs dont il caresse la vieille joue ; il pose sa petite main sur le globe dénudé