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du roi Gaspar ; il picore un raisin au bout des doigts de la Vierge ; il dort sur son sein les yeux clos, tout écrasé de sommeil ; il joue des bras et des jambes, tambourinant le coussin, parmi les anges jouant du luth ou à califourchon sur le cou de saint Christophe ; il insinue un anneau au doigt de sainte Rosalie ou bien met l’index sur sa bouche gravement, s’amuse de tout ce qu’il voit, et il n’y a pas beaucoup d’attitudes révélées par les observations des savans contemporains, les Preyer, les Binet, les Pérez, les James Sully, les Baldwin, les Stanley Hall, qui n’aient été naïvement aperçues et fidèlement reproduites par les simples petits décorateurs des Flandres et de l’Ombrie.

Si même on compare, ces naïves représentations du premier âge, faites sans aucune crainte par les joyeux peintres du XVIe siècle, avec les portraits des jeunes princes de la même époque, raides et gourmés, hiératisés par l’étiquette, on voit qu’ils contiennent infiniment plus de l’enseignemens sur l’enfant de ce temps. Cela se conçoit. En face du fils de roi, le peintre de cette époque, valet de cour et flatteur en titre, à mi-chemin entre le barbier et le bouffon, était embarrassé, interdit. Il lui fallait montrer dans une figure de gamin la dignité d’un demi-dieu, et il en demeurait tout penaud. S’il peignait le fils de Dieu, au contraire, ce qu’on lui demandait avant tout, c’était de toucher les cœurs : donc la grâce, l’imprévu, la liberté, les fantaisies de l’enfance. La divinité est assez exprimée par l’auréole, cette couronne intangible, et par les génuflexions des saints. Il ne craint pas d’être repris par quelque majordome de Celui qui a dit : « Si vous ne devenez pas semblables à l’un de ces petits enfans… » En sorte que, par une contradiction singulière, mais qui marque le charme esthétique du christianisme, les portraits d’enfans contemporains pendant plusieurs siècles ne sont que les signes d’un type artificiel de noblesse, de tenue, et d’une naissance au-dessus de la commune nature ; et c’est dans les portraits de l’Enfant-Dieu que se retrouve la plus large part d’humanité.

Il faudra descendre fort loin dans l’histoire pour retrouver chez les peintres le même souci des attitudes du bébé. Observons quel âge ont les portraits exposés au Petit Palais, et nous verrons que ces portraits sont de plus en plus jeunes à mesure que le monde devient plus vieux. Il y a fort peu de bébés du premier âge à l’un des bouts de cette galerie ; l’autre en est tout égayé. A mesure que l’humanité vieillit, elle s’intéresse