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Saisir cette vérité n’est pas facile. L’anatomie, les proportions de l’enfant ne sont nullement celles de l’homme. Les gestes, les attitudes, la vue de ses raccourcis sont choses toutes nouvelles à étudier pour un portraitiste d’hommes. Quant à ses drames familiers il faut, pour les saisir, des artistes habitués à vivre avec lui. Un grand peintre qui ne voit son petit modèle qu’au moment de la pose, et considère d’habitude les enfans comme des trouble-travail et des perturbateurs de potiches, a de grandes chances pour ne rien exprimer de leur spontanéité. A ceux au contraire qui les aiment et qui s’y dévouent, ils fournissent le sujet de belles images. Il est remarquable que, parmi les meilleurs peintres de l’enfant dans ces dernières années, Mlle Baschkirtseff et MM. Boutet de Monvel et Geoffroy en France, Kate Greenaway et Mme Stanley en Angleterre, M. John Georges Brown aux Etats-Unis, M. Meyer von Bremen en Allemagne et Mme Rasponi en Italie, plusieurs sont des femmes observant quotidiennement les petits enfans. Parmi les photographies, il en est de même : les plus révélatrices sont celles de Mme Binder-Mestro. Seule, une observation quotidienne, affectueuse, dévouée peut démêler quelque chose de l’âme étrange de l’enfant et découvrir ses caractéristiques.


II

Quelles sont ces caractéristiques ? Un misanthrope comme La Bruyère a bientôt fait de les démêler. Ils sont, nous dirait-il, curieux, turbulens, indiscrets, changeans, menteurs, malpropres, touche-à-tout, brise-tout ! Et, en effet, voilà bien les caractéristiques du premier âge. Telles sont bien les manifestations de son génie particulier ou les moteurs nécessaires de sa marche à la conquête de la vie. Car tous ses défauts sont des qualités, et des qualités vitales. Ce sont les qualités des quatre espèces d’hommes que réunit en lui l’enfant : de l’explorateur, du poète, de l’alchimiste et de l’escrimeur.

D’abord, c’est un explorateur. Jeté dans un monde inconnu qu’il lui faut comprendre sous peine de mort, entouré de mille dangers : du feu qui peut le brûler, de l’eau qui peut l’étouffer, de la gravitation qui peut le briser, d’animaux plus gros que lui qui peuvent le dévorer, de forces incompréhensibles qu’il éprouve sans pouvoir y résister, l’enfant est un véritable explorateur, et