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transmutation par la construction d’une chose utile plutôt que par sa destruction, il ne détruirait pas, il construirait. Seulement il ne le peut pas ou, s’il le peut, ce n’est que trop lentement pour son esprit incapable d’attente, de persévérance, de prévision. Il ne jouit d’une transformation que si elle est subite. C’est ce qui fait qu’il s’amuse aux féeries. Lorsqu’il a construit une forteresse de sable sur la plage, rien ne l’amuse tant que de voir le flux de l’océan l’envahir, la bouleverser et substituer l’uniformité liquide, aux inégalités solides de son monument.

Il n’est pas démontré que nous ne soyons pas tous plus ou moins enfans en ce point et que nous n’appelions pas la vie « amusante » en raison de la variété de ses sensations et de la rapidité de ses transformations. Et si, par exemple, l’examen des couches géologiques d’une montagne ne nous récrée pas autant que le spectacle d’une fontaine lumineuse, ne serait-ce pas tout simplement que les transformations de l’une demandent des siècles, tandis qu’aux transformations de l’autre suffisent quelques secondes pour être perçues ? Désireux de voir sous ses doigts se transformer instantanément la matière, l’enfant la bouleverse, il est vrai. Mais ce n’est pas davantage son but de détruire que ce ne l’était celui de l’alchimiste, quand il fondait dans son creuset les matières les plus précieuses ; ce n’est qu’un moyen d’enquête. Essentiellement, l’enfant n’est pas un destructeur, mais un « transmutateur. »

Avons-nous toujours la même excuse, nous autres hommes, quand nous brisons quelque chose ? Nous cherchions tout à l’heure, parmi tant, de joujoux pour les enfans, des joujoux pour les hommes, et nous ne les trouvions pas. Mais nous les trouverons dans les salles de peinturer, rangés nu milieu de ces salles, protégés par des haies de cristal, toujours forclos par une foule avide de s’en amuser, tout resplendissans de dorures, sous le froid émail des glaces, sinistres souvenirs : ce sont les berceaux des Rois. Barcelonnette du Roi de Rome, berceau du duc de Bordeaux, berceau du Prince Impérial, vitrine de Louis XVII, ce ne sont pas assurément là des jouets fabriqués pour l’amusement de ces pauvres petits princes. C’est une idée assez naturelle à l’homme que d’orner le plus possible ; le berceau de son enfant, puisque, chez les peuples qui n’ont pas d’autre art décoratif, chez les Ostiaks, on trouve, pour porter les nouveau-nés, des chefs-d’œuvre d’ornementation. Mais il serait aventuré de dire qu’on le