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D’ailleurs, ce n’est que dans les règlemens scolaires, ou bien dans des expositions comme celle-ci, qu’on peut séparer nettement le « jeu » du « travail : » d’un côté, les salles où l’on réunit les notions utiles, de l’autre, les salles où l’on réunit les notions amusantes. Ces délimitations catégoriques n’existent pas dans les esprits. Il y a sans doute cette idée chez beaucoup de gens que l’heure du jeu doit être uniquement consacrer à des choses divertissantes et les heures du travail à des choses uniquement ennuyeuses, que lorsqu’il a bien joué reniant travaille bien, et que des cloisons étanches peuvent être mises dans ce petit cerveau qui empêchent les préoccupations de se confondre. Heureux pédagogues, s’ils sont jamais parvenus à réaliser en eux-mêmes et dans la vie ce qu’ils prétendent obtenir des enfans et dans l’éducation ! Singuliers esprits, s’ils peuvent se vanter de n’avoir jamais goûté les vives jouissances du souvenir, en dehors des heures réservées au plaisir et d’avoir acquis toutes leurs notions utiles à la vie, aux affaires, au monde, à la chose publique, dans les heures réglementaires qu’ils s’étaient lixées pour les acquérir ! Mais qu’ils l’aient fait ou non, ce n’est pas ainsi que procède la nature. La solution d’un problème vient souvent au moment où la partie consciente de nous-mêmes l’avait abandonné. Le rapprochement de deux idées se fait parfois lorsqu’on ne pensait pas à les joindre. Qu’un homme, qu’un arbre, qu’un nuage, frappe notre vue ; qu’un mot, qu’un son, qu’un parfum frappe nos oreilles ou notre odorat, et voici que se détermine en nous sur tel sujet une cristallisation de pensées que de longues heures de travail, appliquées à ce sujet, n’avaient pu nous procurer. La nature n’obéit pas à la distinction entre les heures d’acquisitions cérébrales et les heures de récréations cérébrales. Elle se moque de nos prétentions au repos comme de notre confiance en l’excitation, et pour recueillir les enseignemens de cette grande école qu’est le monde et la vie, l’esprit doit toujours être en éveil et ne doit jamais être tendu.

Il semble donc que la même erreur égare les fabricans de jouets et les fabricans de programmes : les amuseurs de l’enfant et ses instructeurs. Les uns et les autres paraissent croire que l’esprit de reniant est passif, que c’est un réceptacle qu’on peut remplir à son gré. Si l’on y met beaucoup d’amusemens, il s’amuse beaucoup ; si l’on y met beaucoup d’enseignement, il s’instruit beaucoup. Mais c’est un profond oubli des réalités.