Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

desséchée n’a plus de chair pour la soutenir, et elle adhère à mes os ; d’atroces douleurs ne me laissent reposer, ni le jour, ni la nuit. »

Ce fut, comme on sait, après les Croisades que le fléau prit une extension effrayante. On a prétendu, quelquefois, que la lèpre avait été introduite en Europe à cette époque. Les auteurs, se copiant les uns les autres, ont répandu cette opinion ; mais elle est démentie par des témoignages décisifs. La lèpre existait dans l’Occident avant le temps des Croisades. Comme elle était venue de l’Inde en Égypte, de même elle avait passé de l’Égypte en Grèce. Les légions de Pompée l’avaient transportée à Rome, où, d’ailleurs, elle eut peine à s’implanter, à cause sans doute des habitudes hygiéniques qui y étaient en honneur. Elle avait pénétré dans les Gaules avec les armées romaines et elle y avait pris un grand développement, à la suite des invasions des Barbares. Les conciles d’Orléans, en 549, et de Lyon, en 583, recommandent les lépreux à la charité des évêques, les invitant à leur fournir la subsistance nécessaire afin d’éviter qu’ils ne se mêlent aux autres hommes. Un édit de Pépin le Bref, en 757, fait de cette maladie une cause de dissolution de mariage. Charlemagne, en 789, renouvelle aux lépreux l’obligation de vivre séquestrés. Le fléau était donc très répandu en France : dans le même temps, il désolait la Lombardie.

Il y a des raisons de penser que la lèpre s’était atténuée progressivement et qu’elle avait perdu tout caractère épidémique au moment où se produisit le mouvement des Croisades. Ce mélange des races et des peuples raviva l’activité infectieuse, comme il arrive toutes les fois que l’on offre à un agent virulent épuisé un nouveau champ de culture, un terrain neuf. Le nombre des lépreux s’accrut dans des proportions énormes. En 1226, il y avait en France environ 4 000 léproseries. On le sait par le testament du roi Louis VIII qui, à cette date, léguait à chacune des 2 000 léproseries de son royaume (moitié, comme étendue, de la France actuelle) une somme de cent sous (centum solidos), équivalente à environ 84 francs de notre monnaie.

L’ordre de Saint-Lazare avait été institué par les Croisés, à Jérusalem, au commencement du XIIe siècle, pour secourir les lépreux et leur donner des soins. Le grand maître devait être lui-même un lépreux. Cette obligation subsista jusqu’au pontificat d’Innocent IV, qui l’abolit. Lorsque les chevaliers hospitaliers