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Euphorion, Méphistophélès, sont à Faust, ou ce que Wotan est à Siegfried. Par beaucoup d’attaches, ils appartiennent encore à ce monde factice du grand Opéra, que Berlioz, Wagner, M. Boïto lui-même, se sont appliqués à détruire, mais qui conserve obstinément quelque prestige. Néron, au contraire, s’en détache avec le relief saisissant, avec la vérité supérieure d’un héros de tragédie. Il est saisi par ce regard qu’ont les poètes quand ils savent voir, fixé par ces traits décisifs que trouvent les artistes quand ils pénètrent dans la vérité. Je ne le rapprocherai pas du Néron de Britannicus, pris en un autre moment, au « premier de ses crimes » ; mais, pour le mieux comprendre, je viens de relire le Néron de Cossa, que j’ai déjà signalé, — et quelle différence !

Notez que Pietro Cossa ne fut point un poète indifférent. Loin de là. Mais, aux prises avec cette figure à la fois si étrange et si connue, que tant d’efforts maladroits ou vaniteux ont banalisée, il n’a pas su la renouveler. Dès qu’il sort des textes connus, ou même dès que ces textes ne suffisent pas à lui fournir les développemens essentiels, son Néron pâlit, s’affadit, n’est plus qu’un histrion sans talent, qu’un débauché sans envergure. Il passe, comme une ombre vaine, à travers des scènes désolément vides. Il recherche des émotions d’étudiant en goguette, quand il poursuit quelque noble dame dans les rues, ou de rapin de Murger, quand il fait poser dans son atelier une belle danseuse grecque. Et puis Acte, de temps en temps, lui prêche une bonne morale, qu’il n’a garde d’écouter. Le dernier acte n’est qu’un développement maladroit du récit, mille fois repris, de Suétone. Néron y tient des propos incohérens, de la plus médiocre rhétorique (comme le furent d’ailleurs, c’est certain, ceux qu’il a tenus dans la réalité). La seule idée personnelle qu’ait eue le poète, — et l’on va juger de ce qu’elle vaut ! — c’est d’avoir fait un amalgame inattendu de Néron et de Paetus, d’Acte et d’Arria. Néron est lâche : il n’a pas le courage de se frapper :


ACTE.
… Souris fièrement, comme font les héros
Du Destin, — et meurs !
NERON, la regardant.
Mourir ! Voici un conseil
Qui se donne facilement, mais l’exemple
Serait plus efficace… Et nul de vous,
O lâches, pour me donner un peu de cœur,
Ne sait frapper le sien ?