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Drouyn de Lhuys haussa le ton, et fit coup sur coup deux démarches dont la seconde d’extrême gravité. . Il chargea Talleyrand de présenter à Bismarck des observations contre la convention « par laquelle la Prusse, non seulement acceptait la responsabilité des mesures répressives de la Russie, mais évoquait en quelque sorte la question polonaise et l’idée d’une solidarité entre les différentes populations de l’ancienne Pologne, comme pour inviter les membres séparés de cette nation à opposer leur union à celle des gouvernemens et à tenter une insurrection véritablement nationale (17 février). »

Bismarck trouva naturel que l’Empereur tînt grand compte des sympathies générales que la cause polonaise inspirait à la nation française, mais il le pria de trouver tout naturel aussi que la Prusse ne les partageât pas : la résurrection de la Pologne serait son arrêt de mort ; des trois puissances co-partageantes elle seule ne saurait à aucun prix abandonner le lot qui lui était échu. La perte de la Galicie n’entamerait pas virtuellement l’Autriche ; la Russie gagnerait plutôt à renoncer au royaume de Pologne et à mettre un terme aux embarras contre lesquels elle luth ; depuis tant d’années. Mais la perte de ses possessions polonaises équivaudrait pour la Prusse au morcellement, car des provinces importantes et qui sont le berceau de la monarchie se trouveraient ainsi séparées du centre du gouvernement. « Quant à moi, s’il fallait opter, je préférerais voir la France s’emparer de la Belgique, étendre même au-delà ses frontières, que la Prusse renoncer aux avantages territoriaux que lui a faits le partage de la Pologne. »

Talleyrand, écartant ces éventualités et revenant à la convention, dit : « Elle est inopportune, compromettante, et, pour le moins, inutile. — Inutile ! s’écria Bismarck, je n’en crois rien. L’effet moral que nous avons produit a été salutaire ; les insurgés, sachant l’accueil qui les attendait sur nos frontières, se ; sont éloignés et ont tourné leurs efforts vers la Galicie : les Russes, rassurés par notre attitude, les y ont poursuivis avec avantage ; en un mot nous avons découragé l’insurrection et encouragé la Russie dont je pouvais craindre les défaillances. — Comment pourrait-il en être ainsi ? fit Talleyrand. Je ne la crois pas plus disposée que la Prusse à abandonner la partie, et ce n’est pas la force matérielle qui lui manque pour la jouer avec avantage. — Détrompez-vous, il y a en Russie un parti libéral