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personne n’en veut, et c’est pour cela que nous demandons que chacun s’explique, puisqu’il a été prononcé dans cette enceinte des paroles que vous n’avez pas oubliées et qu’on a fait appel à des amitiés qui ne s’éloignent pas des personnes, mais qui ne peuvent rien changer aux opinions qui demeurent ce qu’elles étaient la veille ; il faut qu’on nous dise comment on a abandonné aujourd’hui ces anciennes opinions en proposant aujourd’hui ce qui les contredit absolument. » J’ai toujours ignoré le motif qui avait décidé Jules Favre à ce retour offensif inattendu. L’agression était si directe, si brutale, si imméritée, que, lorsque je me levai, de tous les côtés des bras se tendirent vers moi, me disant par ce geste muet ce que plusieurs me crièrent : Soyez calme ! Morny crut devoir me venir en aide : « Je vous donne la parole, mais j’aimerais mieux, pour conserver dans cette Chambre les véritables principes, que vos explications fussent restreintes à la loi elle-même. Ceux qui veulent maintenir ici la véritable liberté ne devraient jamais s’écarter de ces principes. Personne n’a le droit de demander à ses collègues compte de leur opinion[1]. » (Marques d’approbation.)

J’écartai d’un mot la protection de Morny et je répondis à Jules Favre : « Un des privilèges de la vérité, c’est qu’elle communique à ceux qui la défendent le calme qui réside en elle et la rend toute-puissante. Aussi, quel que soit l’étonnement douloureux que m’aient causé certaines paroles du discours que vous venez d’entendre, je persisterai à ne répondre, ainsi que je l’ai fait jusqu’à ce moment, qu’en prouvant que j’ai raison et que les adversaires de la loi ont tort. » (Très bien ! Très bien !) Il y eut une telle hauteur de dédain dans la manière dont je prononçai ces paroles que Jules Favre en verdit encore plus.

Je réfutai sans colère, mais durement, ses argumens : « Où est-il, ce mot de manœuvre frauduleuse ? m’a-t-on demandé, dans quelle loi l’avez-vous pris ? — Dans une loi que vous ne désavouerez pas, puisqu’elle est votre œuvre et celle de vos amis, dans la loi de 1849 sur la liberté électorale : « Seront punis, dit-elle,… ceux qui, à l’aide de manœuvres frauduleuses, auront influencé ou tenté d’influencer le vote d’autres citoyens. » Voilà où nous avons pris ce mot ; et c’est parce que nous l’avons trouvé là, mis

  1. 2 mai 1864.