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refuserait-il d’admettre la même dignité chez les autres individus ? comment ne s’accorderait-il pas avec tous les moralistes de tous les temps pour définir le devoir « la subordination des fins individuelles aux biens communs ? » Non, le socialisme n’a eu qu’un mérite, et il est grand : c’est de montrer qu’en fait, sous le régime économique du capitalisme, tous ces principes moraux ont été trop souvent foulés aux pieds. Mais il n’est pas sûr qu’ils ne le fussent point sous le régime collectiviste. Ce dernier a-t-il un secret pour faire pénétrer du dehors dans les cœurs la fraternité et le dévouement aux fins universelles ? La seule chose qu’il pourrait légalement instituer, c’est Je « travail obligatoire ; » encore ne serait-ce que le travail manuel. Il pourrait, comme certains socialistes le demandent, obliger chacun, débile ou fort, à faire usage de ses bras pendant plusieurs heures par jour, quelles que fussent ses aptitudes intellectuelles, et à fournir un produit brut. Reste à savoir s’il convient de bouleverser l’ordre social pour arriver à une sorte de corvée universelle, et si ce triomphe de la tâche manuelle serait aussi celui de la moralité spirituelle.

Loin de concéder que le socialisme soit par lui-même une morale, nous croyons que le plus grand service à lui rendre serait de lui en fournir une car, en définitive, sous la forme matérialiste, il n’en a aucune, et, sous la forme idéaliste, il est obligé de l’emprunter à d’autres doctrines qui n’ont rien de socialiste. Il y a donc là un édifice à construire, et les divers chefs d’école n’en ont jusqu’à présent, nous allons le voir, fourni que quelques pierres, souvent peu solides. L’effort du socialisme, à la recherche d’une morale, a été plus laborieux qu’heureux.


II

La plupart des socialistes se contentent d’adopter la doctrine de l’évolution. Ils cherchent dans le développement de la société l’unique explication et l’unique justification de la moralité, de que nous appelons conscience morale consiste pour eux dans le plaisir instinctif que nous causent les formes d’action propres à faire avancer la société humaine vers une communauté idéale. Le jugement par lequel nous reconnaissons que la société de laquelle nous sommes solidaires exige telle conduite conforme à son bien général, constitue tout le sentiment d’obligation ; le sens de la justesse d’une telle exigence et de son accord avec l’idéal