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va chercher sa philosophie, à lui peuple, et sa politique de demain. Philosophie et politique bien simples, et telles que le peuple les comprend et les aime : — la nation est souveraine ; tout le monde est égal dans la nation ; — le souverain peut absolument tout[1]. Corollaires ou conséquences pratiques, un jour ou l’autre : le suffrage est universel ; tout le monde est électeur, et la majorité décide ; le Nombre tient l’Etat. Indépendamment donc de ce que Rousseau a fait pour la libération, la réhabilitation, l’exaltation du Travail, ce qu’il a fait pour la suprématie du Nombre dans l’omnipotence de l’Etat, — et nul assurément n’a pu faire ni plus ni autant, — exige qu’on ne se contente pas de le citer en une nomenclature hâtive, mais qu’il soit mis au tout premier rang, en évidence et par prééminence, entre les précurseurs, les fauteurs et les auteurs de la double Révolution.

Mais, parmi eux encore, ceux que vraiment il faut au moins nommer, ce sont les encyclopédistes, et les physiocrates, les économistes même. Pour les premiers, on se rappelle qu’un des objets de l’Encyclopédie, — le Prospectus et le Discours préliminaire l’annoncent formellement, — est « de donner aux arts mécaniques la place à laquelle ils ont droit dans le système des connaissances humaines. » Et quant aux économistes, malgré leur idolâtrie de la terre et leur mépris, d’ailleurs plus apparent que réel, pour la classe stérile, comme dit Quesnay, ou stipendiée, comme dit Turgot, ou subordonnée, comme dira Dupont de Nemours, — c’est de l’ensemble des industriels, des commerçans, des ouvriers des villes, de tout ce qui n’est pas agriculteur, qu’ils parlent en ces termes ; — malgré cela, quelles que soient les exagérations de leurs sympathies et de leurs antipathies, quelles que soient les divergences irréductibles entre eux et les philosophes, et quoi qu’ils affectent de dire de l’Etat, ainsi que les philosophes pourtant, par une singulière contradiction avec leurs propres principes, ils aboutissent, eux aussi, à la toute-puissance de l’Etat, et concluent à la nécessité du « despotisme légal »[2]pour assurer et maintenir « l’ordre naturel et essentiel des sociétés. »

À ce même despotisme légal, à cette même toute-puissance de l’Etat, d’autres, de leur côté, font appel pour le changer ou plutôt pour le restaurer : car philosophes et économistes

  1. Voyez F. Brunetière, Manuel de l’Histoire de la Littérature française.
  2. L’expression est de Mercier de la Rivière.