Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/560

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelque peu légendaire[1] ; et il est probable que l’envahissement de la mer date d’une époque beaucoup plus ancienne et a été, non un accident brusque, mais un phénomène de très longue durée. Il est donc beaucoup plus rationnel de l’attribuer à l’affaissement lent et continu du rivage, et à la destruction progressive des massifs de dunes qui formaient autrefois une large ceinture mamelonnée, en arrière de laquelle se trouvaient de grands espaces marécageux couverts d’une végétation herbacée et dont les eaux ne s’écoulaient qu’à mer basse et par infiltration à travers l’appareil littoral.

Le nom de Vey ou Vay (vadum, gué, passage) que porte la baie rappelle assez bien cet ancien état des lieux. A chaque marée basse, on peut toujours traverser presque à pied sec la distance de 7 kilomètres qui sépare le village actuel du Grand Vey, situé à gauche du chenal de Carentan, de l’église de Saint-Clément, située à droite du chenal d’Isigny ; et le gué de Saint-Clément se trouve précisément sur l’emplacement d’une ancienne voie romaine, dont on a retrouvé quelques vestiges non douteux. Les magnifiques prairies au milieu desquelles serpentent aujourd’hui la Douve, la Taute, la Vire et l’Aure sont réellement une conquête récente de l’homme. C’étaient autrefois d’anciennes baies presque fermées et communiquant avec le golfe des Veys par d’étroits goulets. Au lieu de présenter, comme presque toutes les terres en culture, un certain relief et des limites rectilignes, elles ont conservé une horizontalité parfaite et les contours adoucis de nappes d’eau tranquilles qui se sont peu à peu atterries et qui sont encore quelquefois recouvertes par les marées. Elles ont encore leurs îles, leurs promontoires, leurs petites anses. Leurs bords ont la courbure des anciennes plages, et leur surface extérieure est une sorte de croûte de vase très peu consistante, qui cède quelquefois sous les pas de l’homme ou des troupeaux. Peu ou point d’arbres ; leurs racines ne pourraient trouver à mordre dans le sous-sol détrempé. Tout le golfe des Veys n’est qu’un immense dépôt de tangue que des endiguemens ont fait passer successivement à l’état de grève vaseuse, puis de grève herbue, recouverte de christe marine et de saugerette, dont les linéamens enchevêtrés ont tissé un véritable feutre végétal qui s’est peu à peu épaissi, consolidé, et a fini par se transformer

  1. Voyez la Revue du 15 juillet. p. 431.