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V

Après avoir dépassé Courseulles et la série de petits hameaux de pêcheurs, hier encore pauvres et inconnus, aujourd’hui transformés et enrichis par la vogue mondaine, la côte s’infléchit légèrement et dessine un golfe très largement ouvert, ceinturé de dunes et de coteaux. C’est la grande rade de Caen.

Avant que des travaux modernes eussent un peu réglementé et discipliné son embouchure, l’Orne divaguait sur des bancs de sable qui émergeaient à plus de 4 kilomètres de la laisse des hautes eaux. À 10 kilomètres à peine à l’Est de l’Orne débouche la Dives à 15 kilomètres plus loin la Touques. L’Orne, la Dives et la Touques sont les trois principales rivières qui arrosent cette partie plantureuse de la Basse-Normandie qui mérite si bien le nom de vallée d’Auge[1]. Les belles prairies de l’Auge devaient être très certainement connues de toute antiquité. L’incomparable plaine de près de quinze lieues de développement qui s’ouvre sur la mer, encadrée de coteaux verdoyans, couverts d’arbres touffus, et qu’on a si bien nommée « la Tempé de la Normandie, » est peut-être le plus riche terrain agricole de la France entière. Nulle part on ne trouve de plus gras pâturages, d’herbe plus verte et plus épaisse, de troupeaux plus charnus, de chevaux plus vigoureux. Presque tous les soirs, après les plus brûlantes journées de l’été, un nuage humide recouvre la plaine un peu monotone qui s’étend à perte de vue, et rétablit la fraîcheur perdue au cours de la journée, ce sol d’alluvion est presque horizontal. L’inclinaison très faible va même à certains endroits de la mer vers la terre, ce qui semble indiquer que, dans les temps anciens, le pays était en nature de marais inondés par les hautes marées. La Dives et surtout la Touques débouchaient dans des golfes qui ont été comblés par des dépôts provenant à la fois de la mer et des eaux douces de ces deux rivières, et ces dépôts ont créé un territoire d’une merveilleuse fertilité.

L’embouchure de l’Orne a de tout temps été encombrée par les sables, et elle serait même depuis bien des siècles complètement obstruée sans la coïncidence accidentelle des grandes crues de la rivière avec les plus fortes marées des équinoxes.

  1. Auge, en latin Algia, du Celte Augia, pâturage près d’une rivière, — ou d’al, aval, pomme, et de guez, arbre, à cause de ses nombreux pommiers.