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Si pendant une belle nuit d’été on longeait en mer, à quelques encablures au large, toute cette partie de la côte normande depuis l’embouchure de la Seine presque jusqu’à la base de la presqu’île du Cotentin, on serait d’abord guidé par l’entre-croisement de tous les feux projetés par les phares et les fanaux, gardiens fidèles et protecteurs permanens de tous ceux qui naviguent, qui guident sans cesse leur marche, raniment quelquefois leur courage et qu’on ne peut ranger sans admiration et sans respect. En s'approchant un peu, on apercevrait bientôt les scintillemens de milliers de petites clartés de toute nature et de toute couleur qui forment une bande lumineuse presque ininterrompue de 40 kilomètres. C’est le monde frivole, joyeux et bruyant qui s’agite et s’amuse et dont les petits cris, les chants quelquefois vulgaires et de goût douteux, et tous les bruits de fête se perdent dans le grand murmure de la mer.

Trouville et Deauville sont peut-être les deux plus brillantes stations de cette côte merveilleuse, celles qui, depuis quelques années, semblent « tenir le record, » pour employer la langue moderne qui convient à tout ce qui touche aux villes d’eaux et de plaisirs ; — et l’histoire de leur prodigieuse fortune est à peu près celle de toutes les autres.

Il n’y a guère plus d’un demi-siècle, Trouville n’était qu’une assez médiocre agglomération de marins. Quelques artistes seuls connaissaient la beauté de sa plage, les charmans sous-bois des forêts qui couronnent les collines voisines, les falaises abruptes et les écroulemens des Roches-Noires, qui n’ont plus aujourd’hui l’intérêt des spectacles nouveaux et imprévus. La vogue se portait alors presque exclusivement sur Dieppe, et avec la vogue l’encombrement. Quelques baigneurs parisiens vinrent un jour au petit bonheur essayer une saison sur la magnifique plage qui s’étend des deux côtés de l’embouchure de la Touques. Leur exemple fut bientôt suivi et l’attraction commença. Les femmes des pêcheurs de Trouville comprirent immédiatement que l’hospitalité, qui est certainement une vertu très recommandable, pouvait être encore plus lucrative. En l’honneur de Paris qu’on ne saurait trop flatter, elles doublèrent d’abord et décuplèrent bientôt le prix du loyer de leurs chaumières. La grande spéculation ne tarda pas à s’en mêler. Des entrepreneurs achetèrent tous les terrains vacans au bord de la mer. Les dunes de Deauville furent arasées, les marais qui les séparaient de la plage