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canton, qui cependant possède toujours une certaine activité industrielle et agricole ; mais son rôle politique, militaire et maritime est terminé, et, de toutes ses grandeurs passées, il ne lui reste que des débris très clairsemés et des souvenirs lointains qui s’effacent de plus en plus. Les vases de la Seine se sont lentement déposées dans le golfe de Bolbec pendant tout le moyen âge ; et dès le XIIe siècle, l’ancienne Iuliobona était complètement abandonnée par la navigation.

A 25 kilomètres à peine au-dessous et sur la même rive droite de la Seine, la baie de la Lézarde devait naturellement recueillir l’héritage de Lillebonne et fut à son tour pendant quelque temps le « port souverain » de la Normandie. C’est là que se trouvait, aux premiers siècles de notre ère, la dernière station de la route de terre dont nous venons de donner les principales étapes et de la grande voie fluviale qui conduisait à la mer. On l’appelait Caracoticum : elle est devenue Harfleur[1]. L’atterrage de Caracoticum a dû être aussi très fréquenté de tout temps, et dès l’époque romaine devait constituer une sorte de succursale et d’avant-rade de Iuliobona, à laquelle il s’est pour ainsi dire substitué. Il est même permis de croire avec quelques archéologues que la station romaine, dont le nom a une physionomie celtique assez prononcée, a été précédée par une ville gauloise ; et on peut regarder comme très vraisemblable que le petit golfe navigable de la Lézarde, situé presque à l’embouchure du grand fleuve et donnant un libre accès à une vallée très fertile, dut être un des premiers lieux habités du pays des Calètes. C’était, nous l’avons vu, le point terminus de la grande route militaire de Paris à Rouen et à la mer. Des tronçons de cette ancienne voie impériale ont été retrouvés eu maints endroits de la côte voisine et ont naturellement gardé le nom de « chaussée de César. » La ville dut être de très bonne heure entourée de remparts, et l’ancienne porte de l’enceinte du moyen âge qu’on appelait Caltinaut semble bien avoir conservé quelque peu le nom des Calètes. On ne sait d’ailleurs rien ou presque rien d’historique sur le passé de Caracoticum ; mais, du XIIe au XVe siècle, le port jouissait d’une réelle prospérité, et la ville était même une place de guerre et de commerce fort importante. « La ville d’Araflor (Harfleur), dit une vieille

  1. L’abbé Cochet", La Seine Inférieure historique et archéologique. Paris, 1866.