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royale qu’elle remplace invitée à ne s’en point imposer, semble destinée à ne pas en avoir même de flottantes, indécises et ployables, dans la stabilité relative des lois et dans le respect des lois anciennes, qu’on l’incite plutôt à respecter le moins possible.

Telles sont, dans l’ordre politique et dans l’ordre social, les inquiétantes proportions et dimensions de la souveraineté populaire, héritière de la souveraineté monarchique. En face de quoi les pauvres Droits de l’homme me semblent conduits à se faire assez petits.

Mais la souveraineté populaire développe ses conséquences même dans l’ordre moral, et elles ne sont pas ici d’une moindre importance. Si la souveraineté populaire prétend à l’omnipotence et à l’omnipossession, elle ne prétend pas moins à l’omniscience et à l’omniconscience. On s’étonne quelquefois que la Révolution ait voulu avoir sa religion, son église, son clergé. On s’étonne qu’il y ait eu sous son régime des délits d’opinion, des délits de pensée et des délits de croyance. Il n’y a rien de plus naturel et cela n’est qu’une conséquence directe et prochaine du dogme de la souveraineté du peuple. La majorité a sa foi, ou elle doit en avoir une elle a sa pensée directrice, ou elle doit en avoir une ; elle a ses idées générales, ou elle doit en avoir ; et il est de son devoir d’empocher qu’une minorité, ou que des individualités, aient une foi, une pensée maîtresse ou des idées générales qui ne soient pas les siennes. Car alors que devient la souveraineté ? Elle s’exerce dans le domaine de la loi. Qu’importe, si elle ne s’exerce pas dans le domaine des mœurs ? Elle s’exerce sur les volontés. Qu’importe, si elle ne s’exerce pas sur les esprits et sur les cœurs ? Qu’entend-on bien par souveraineté ? Un droit d’abord ; mais ensuite un moyen de constituer et de conserver l’unité et l’indivisibilité d’un pays. Eh bien ! que devient l’unité d’un pays, s’il est divisé en mille sectes, en mille croyances et en mille pensées ? cette « unité morale » de la nation, dont certain parti parle tant depuis un siècle, ce n’est pas autre chose que la souveraineté nationale appliquée aux choses de la conscience, de la science et de la pensée. C’est le souverain qui veut qu’on croie comme lui et qu’on pense comme lui, d’abord parce que cela lui plaît, ensuite parce qu’il y a un immense péril à ce que, les uns pensant d’une façon, les autres d’une autre, l’Etat ne soit qu’un faisceau d’obéissances alors qu’il doit être un faisceau d’adhésions.