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quelquefois un abîme entre l’opinion publique et le Parlement, abîme où il arrive que les gouvernemnus s’effondrent.

Très parlementaire, faute de pire, et croyant que l’expédient parlementaire donne, après tout, des garanties qu’on ne trouverait pas ailleurs, j’ai souvent pensé que le Parlement est un peu le « miroir trompeur » dont parle l’Auguste de Cinna. Il déforme l’opinion publique en se flattant, ou plutôt en se targuant, de la reproduire. Il en donne une image fausse. Le meilleur gouvernement serait un gouvernement despotique qui s’inspirerait directement de l’opinion publique, en l’écoutant avec le plus grand soin dans les rapports de police, dans les rapports de préfets, dans les rapports de maires, et dans la presse laissée absolument libre. — Mais jamais un gouvernement despotique ne laissera la presse libre et ne s’inspirera de l’opinion publique. — Eh ! je le sais bien.

La Révolution s’est faite aristocratiquement encore, oligarchiquement, parce qu’il n’y avait pas de chemins de fer ni de télégraphe électrique, et que, par conséquent, elle s’est faite par Paris. A partir du moment où l’Assemblée constituante a été installée à Paris, la Révolution française a été une révolution parisienne. L’événement politique accompli à Paris, révolution, proscription, coup d’Etat, arrivait trop tard à la connaissance de la Province pour qu’il y eût réaction de l’opinion provinciale sur l’opinion parisienne. Il était fait acquis. Il était inscrit dans l’histoire. La Révolution française a donc été menée par Paris depuis le 6 octobre 1789 jusqu’au 9 novembre 1799. La France a été gouvernée par Paris, le plus souvent contre son gré, comme en témoignent les insurrections et aussi les missions des proconsuls, pendant ces dix années. Il n’y a rien au monde de plus parfaitement aristocratique. C’est ce qui explique fort bien le succès du 18 Brumaire. D’une part, Bonaparte apportait à la France précisément ce qu’elle avait demandé dans ses Cahiers de 1789, si méprisés, mais qui étaient, cependant, l’expression de sa volonté ; d’autre part, il mettait fin à un régime insolemment et violemment aristocratique, qui est justement ce que la France aime le moins et à quoi elle préfère le despotisme lui-même. C’est comme aristocratiques que les gouvernemens de 1815 et de 1830 sont tombés.

Il ne faut donc pas se dissimuler que ce grand mouvement historique de 1789 à 1799 a en partie un caractère factice ; il