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lord Rosebery : nous la considérons simplement comme un fait, comme un détail dans le tableau que nous essayons de faire de la situation du parti libéral. On remarquera toutefois ce qu’elle a de dur et de tranchant dans la forme. Lord Rosebery use volontiers de dilemmes impératifs : si la guerre est inique, il faut le dire ; si elle est juste, il faut le dire aussi. Il est rare que les choses se présentent aussi simplement aux esprits, et qu’on puisse les enfermer dans des formules aussi étroites. Au moment où nous sommes, et lorsque la guerre qui aura bientôt duré deux ans a atteint le point où elle en est, c’est peut-être perdre un peu son temps que d’en discuter les origines. Chacun a son opinion faite à cet égard en Angleterre et ailleurs ; mais ce n’est plus précisément de cela qu’il s’agit. Dans une autre partie de sa lettre, lord Rosebery divise les libéraux et peut-être même les Anglais en deux groupes. Passez à droite, hommes de bien ; passez à gauche, ceux qui ne le sont pas ! Les premiers sont les impérialistes, les seconds sont les insulaires. Il n’y a pas de milieu : il faut être l’un ou l’autre, et, si on n’est pas l’un, c’est qu’on est l’autre. Mais que signifie ce qualificatif d’insulaires que lord Rosebery jette comme une excommunication majeure à la tête de ceux qui ne pensent pas comme lui ? A s’en rapporter au sens grammatical des mots, celui-ci désigne apparemment les hommes qui pensent que tous les intérêts de l’Angleterre sont confinés dans l’île, ou dans les deux îles qui comprennent les trois royaumes. Nous doutons qu’il y ait un seul Anglais aussi insulaire que cela : il faudrait qu’il n’eût aucune notion de l’histoire de son pays, ni de la géographie du globe. Si on disait de quelques-uns d’entre nous, Français, qu’ils croient les intérêts de la France, surtout après ses malheurs non encore réparés, enfermés entre le Rhin, la Méditerranée, les Pyrénées et l’Océan, on dirait quelque chose qui peut se soutenir : et encore y a-t-il bien peu de Français aujourd’hui, si même il y en a, qui condamnent radicalement la politique coloniale et soient disposés à renoncer à ses conquêtes. Mais enfin, la France pourrait perdre ses colonies sans cesser d’être un grand pays. Il n’en est pas de même de l’Angleterre. Ses colonies font sa grandeur, sa richesse et sa puissance : si elle les perdait, elle ne serait plus qu’un pays de troisième ordre. Désavouer la politique d’expansion à travers le monde serait un non-sens de la part d’un Anglais : et voilà pourquoi cette épithète d’insulaire, dont se sert lord Rosebery à l’encontre de ses adversaires, est un non-sens elle-même. Peu lui importe : c’est par des mots pareils qu’on agit sur les imaginations, mais aussi qu’on les égare. Personne ne citerait un seul Anglais éclairé qui soit disposé à s’enfermer