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les chambres (du cardinal)[1], lui témoignant tendresse de ce qu’il se mouillait en passant la cour. Cela m’a fait perdre le sommeil deux nuits de suite. » Il lui parle de son amour en termes passionnés ; il « se meurt » pour elle, sa seule joie est de lire et relire ses lettres, et il « pleure des larmes de sang » lorsqu’elles sont froides, bien qu’il ne soit au pouvoir de personne de rompre le lien qui les unit. Nous n’avons pas les réponses de la reine, mais nous savons qu’elle lui fit écrire vers le 1er septembre qu’il devrait « s’en aller à Rome, » et qu’elle fit signer au roi, deux ou trois semaines plus tard, une « déclaration » qui arracha à Mazarin une lettre pathétique (26 septembre) : « J’ai pris dix fois la plume pour vous écrire, sans l’avoir pu, et je suis si hors de moi du coup mortel que je viens de recevoir, que je ne sais pas du tout si tout ce que je vous pourrai dire aura ni rime ni raison…

« Le roi et la reine, par un acte authentique, m’ont déclaré un traître, un voleur public, un insuffisant, et l’ennemi du repos de la chrétienté… Cette déclaration court déjà par toute l’Europe, et le plus zélé des ministres qui aient jamais été passe à présent pour un scélérat, un infâme…

« Il n’est plus question ni de bien, ni de repos, ni de quoi que ce puisse être. Je demande l’honneur qu’on m’a ôté, et qu’on me laisse en chemise, renonçant de très bon cœur au cardinalat et aux bénéfices… »

Il était clair que le temps pressait. Mazarin fit flèche de tout bois, leva une année et rentra en France. A mesure qu’il se rapprochait de Poitiers, où était alors la cour, on voit à travers ses lettres que celles de la reine redevenaient tendres. Le jour de son arrivée (30 janvier 1652), Anne d’Autriche l’attendit une heure entière à sa fenêtre.


IV

Mademoiselle avait eu en 1651 une année bien remplie. Elle avait suivi les séances du Parlement, les soirées séditieuses du Luxembourg, et passé la moitié des jours à pousser les Frondeurs aux résolutions violentes. Le reste du temps avait été donné aux plaisirs dont Paris ne manque jamais, même en temps

  1. L’appartement de Mazarin au Palais-Royal, près de celui de la reine. Lyonne logeait rue Vivienne.