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permission et rejoignit l’armée frondeuse à Etampes (2 mai). Il faisait beau temps. Mademoiselle était à cheval avec ses dames, « tous les généraux et quantité d’officiers » étaient venus au-devant d’elle, le canon tonnait, le tambour battait, et elle se sentait dans son élément ; Condé avait dit, d’une marche ordonnée par elle, que Gustave-Adolphe n’aurait pas mieux fait.

Le lendemain, elle se rendit à la messe à pied, précédée de la musique militaire, et « cela était tout à fait beau[1]. » Elle présida à cheval le conseil de guerre, passa sur le front des troupes, qui demandaient à grands cris la bataille, et reprit la route de Paris sans se douter que Turenne avait profité des distractions données aux officiers par les dames pour surprendre les quartiers des Frondeurs. A Bourg-la-Reine, elle rencontra Condé, revenu du Midi et accouru au-devant d’elle, puis ce fut un immense flot populaire, ce fut le chemin bordé de carrosses « une lieue durant, » la foule courant après elle dans les rues de Paris, le Cours-la-Reine, où l’on se doutait bien qu’elle viendrait se montrer, rempli d’équipages à ne pouvoir passer, le palais des Tuileries bondé de monde, et partout des acclamations, des complimens, un enthousiasme, une joie, une fête, qui achevèrent de lui tourner la tête, et il y avait vraiment de quoi. Il n’y eut qu’au Luxembourg que l’accueil fut froid. Monsieur, ennuyé de la voir revenue, s’était mis dans son lit, où il faisait le malade et refusait d’entendre parler affaires.

Ce pauvre Monsieur était déjà très opprimé sans elle. Condé, plus terrible que jamais, et plus en plein dans la trahison, soulevait la populace, réduisait le Parlement à ne plus se réunir faute de sécurité, livrait à l’étranger tout ce qu’il pouvait de la France et terrorisait Gaston, qui se voyait envahi à toute heure, jusque dans sa chambre, par une foule de gens ignobles, de repris de justice, de gamins et de filles, venus pour le conseiller et l’assurer de leur protection. Aux promenades, le chœur des laquais et des femmes galantes lui dictait sa politique. Sa vie devint tout à fait amère après le retour de Mademoiselle, qui croyait avoir conquis le droit de parler haut, et en abusait ; elle raconte qu’un jour, étant chez Madame, elle la « gourmanda comme un chien. »

Il est étrange qu’aucun des princes n’ait vu que la révolution

  1. Mémoires de Mademoiselle.