Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/780

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une armée, et une armée qui s’augmente et se renouvelle sans cesse jusqu’aux environs de 1815. Ce sont, d’abord, les ennemis et les élèves que Hogarth a laissés derrière lui ; Paul Sandby, — un peintre que la haine a fait caricaturiste, — est à la tête des premiers, et Collett peut servir de type aux seconds. Quand on regarde les dessins de Collett et qu’on les compare à ceux du maître, il est impossible de ne pas se rappeler un mot burlesque et profond de notre excentrique contemporain, le peintre Whistler : « Quand on marche derrière un homme, on ne voit que son dos. » C’est précisément de cette manière que Collett emboîte le pas derrière l’auteur du Rake’s Progress. Il n’a jamais vu que le dos de Hogarth ; peut-être même n’a-t-il vu que son ombre sur la terre où il avait passé. A la génération suivante, l’influence de Hogarth va décroissant. On étudie encore et on applique les procédés du maître, mais on ne regarde plus la vie avec les mêmes yeux. L’intention comique s’accentue ; l’intention morale s’atténue et finit par disparaître. L’histoire du Vice, dont Hogarth avait fait un drame, va redevenir ce qu’elle était pour nos aïeux : une farce. Parmi cette pléiade de caricaturistes, cinq ou six noms reviendront fréquemment dans les pages qui suivent : Sayers, dont Pitt fit l’auxiliaire de sa victorieuse politique, et qui nous a laissé une inappréciable galerie de portraits ; Woodward, un amphibie de la plume et du crayon, qui met autant d’esprit dans ses dessins que de pittoresque dans ses légendes et qui est surtout intarissable quand il s’agit de décrire les mœurs du peuple et de la petite bourgeoisie ; Isaac Cruikshank, qui, pendant vingt ans, a fait campagne contre les Français par la caricature, mais dont le plus grand mérite est d’avoir été le père et le maître de Robert et de George Cruikshank ; enfin, Gillray et Rowlandson, qui incarnent, l’un la satire politique, l’autre la satire sociale : deux figures originales devant lesquelles il faut s’arrêter.

Thomas Rowlandson était né en 1756. A l’école du docteur Barrow, dans Soho Square, il se rencontra avec le fils de Burke, ce Richard que l’admiration paternelle rendit si ridicule et qui n’échappa que par une mort précoce à la destinée lamentable des génies avortés. Rowlandson évita l’enfant prodige pour se fier avec Bannister, plus tard comédien célèbre, et avec Angélo, qui devint un habile maître d’escrime, rival et ami du fameux Saint-Georges. En quittant l’école de Soho Square, il suivit les