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découpé, l’arc des sourcils finement et hardiment dessiné, la prunelle claire, le regard direct, aigu, pénétrant, une masse de cheveux blonds et bouclés, rejetés en arrière et formant à la figure une auréole qui se détache sur le feutre noir du chapeau ; enfin, — si l’on veut une impression d’ensemble, — l’air un peu fou, l’air d’un passionné, d’un dévorant. Tel est Rowlandson à trente ans. On devine en lui tous les appétits qui coûtent cher, y compris la générosité. Un grand seigneur de notre vieille comédie dit à son valet avant de sortir : « Lafleur, as-tu mis de l’or dans mes poches ? » En effet, il faut de l’or, pour soutenir ce rôle de l’homme de plaisir et de l’homme à la mode. Ce fut la tante française dont il a déjà été question qui se chargea de remplir les poches de Rowlandson. Elle lui légua sept à huit mille livres sterling (environ deux cent mille francs), qu’il perdit au jeu en très peu d’années. Mais que lui importait ? Il crut, sans doute, qu’il pourrait indéfiniment battre monnaie avec ses facultés d’artiste, que les idées afflueraient toujours à son cerveau, que le sang courrait toujours aussi rapide et aussi chaud dans ses veines, que toutes les sympathies, comme toutes les chances, continueraient à se précipiter vers lui. Douze ans après le premier portrait, nous en avons un second dans le Voyage d’un peintre au pays de Galles. C’est la même silhouette qui s’offre à droite, c’est le même effet de cheveux clairs qui s’enlèvent sur le feutre à la Van Dyck, mais ces cheveux sont moins fournis ; le regard se voile ; le fin et fier profil s’empâte dans les bajoues naissantes et dans le double menton qui commence. C’est la décadence physique qui s’annonce ; la décadence artistique marche de pair. Elle durera plus d’un quart de siècle. Rowlandson ouvre une boutique, comme Hogarth, et s’aperçoit qu’il ne suffit pas d’être un grand artiste pour être un bon marchand. Son invention est à bout. Comme elle n’a jamais connu que l’extérieur des êtres et des choses, elle a maintenant fini de faire le tour de cette société qu’elle a fouillée dans tous les coins, dont elle a reproduit et parodié toutes les attitudes, tous les gestes, tous les tics. A présent, Rowlandson grave les dessins de Woodward, de Henry Bunbury, de John Nixon. Il ramasse les idées d’autrui, et, s’il obtient encore des succès, c’est avec l’aide d’une pensée plus jeune ou plus originale. Quand il est livré à ses seules ressources, tout ce qu’il sait faire de mieux est de chroniquer, le crayon à la main, les petits scandales du jour, de donner une forme concrète à quelque