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encore moins. Le nouveau-né souffre incontestablement, quand la faim lui arrache des pleurs ou des cris. « Mais, déclare M. Ch. Richet, ces cris et ces pleurs ne m’inspirent pas grande pitié : car je suis convaincu que sa souffrance est modérée, qu’elle passera en quelques secondes sans laisser aucun vestige dans sa mémoire, sans le retentissement prolongé dans la conscience qui est la condition de la douleur… Si l’on venait me proposer, ajoute l’éminent physiologiste, de me faire souffrir une douleur atroce, épouvantable, inouïe, avec cette condition qu’elle ne durera qu’une seconde et que, cette seconde étant passée, je n’en conserverai plus aucunement la mémoire, que j’oublierai totalement la vibration angoissante qui m’aura secoué tout entier, j’accepterais volontiers cette passagère douleur, si intense qu’elle fût ; car la durée d’une seconde est tellement courte, étant donnée notre organisation psychique, qu’elle ne compte pas pour la conscience. »

On ne saurait mieux dire ; car, en vérité, il en serait alors de ce mal fugace comme de la fulgurance instantanée de l’éclair, qui ne suscite en nous une impression d’effroi que parce qu’elle est inévitablement suivie des grondemens prolongés du tonnerre.

Au cours de la narcose chloroformique, maintes fois le patient s’éveille au milieu de l’opération, soit que des vomissemens surviennent, soit qu’on se décide pour un motif quelconque à suspendre les inhalations. Dans cet état, il sent très positivement la douleur ; vous le voyez se débattre, crier, demander grâce. Mais qu’après cette courte période de lucidité, le malade retombe à nouveau dans son sommeil, et, l’opération finie, il vous dira qu’il n’a éprouvé aucune souffrance. L’entr’acte douloureux sera pour lui comme s’il n’avait jamais été !

A parler vrai, le souvenir de la douleur n’est pas le rappel de la douleur. Quelque intense, quelque tenace qu’il soit, jamais il ne fera revivre l’impression disparue. Celle-ci pourra bien évoquer en nous un sentiment rétrospectif d’épouvante et d’horreur : mais, en aucun cas, l’imagination la plus plastique, la mémoire la plus fidèle ne parviendront à reconstituer ses traits. La page de notre vie où s’est inscrite une souffrance passée, cette page, nul d’entre nous ne l’a jamais relue.

Qu’importe, au surplus, cette défaillance partielle de la mémoire ? Une reviviscence intégrale de la sensation douloureuse ne ferait qu’en renouveler inutilement l’angoisse. Ce qu’a voulu