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seront ses nouvelles lignes et ses transformations. Grand démolisseur et grand architecte à la fois, l’Océan offre à Etretat un spectacle véritablement grandiose, d’une incomparable majesté, et devant lequel, par certains jours de tempête, on reste frappé de stupeur et d’admiration.

Il y a quelques siècles, Etretat n’était pas seulement le modeste village de pêcheurs et l’élégante station de bains que nous voyons aujourd’hui, presque complètement fermé du côté de la mer par une énorme baie de galets qu’on a renoncé à enlever. C’êtait un véritable port naturel dans une anse assez profonde, estuaire d’une petite rivière qui arrosait une jolie vallée normande. La rivière a disparu sous le sol. Les débris de la falaise ont comblé son embouchure. Elle s’écoule maintenant à mer basse, entre deux terres, au moyen d’un petit canal artificiel creusé au-dessous du plan incliné de galets qui ferme la vallée. Ce barrage arrête les eaux douces qui suintent lentement dans le sous-sol ; et il suffit de creuser à quelques mètres pour les y recueillir dans de petits réservoirs naturels que les femmes des pêcheurs utilisent pour les usages quotidiens de leur vie ménagère. Une ancienne carte de Mercator figure la rivière et sa large embouchure. Au XVIe siècle donc, le petit havre existait encore. Le flot, qui atteint près de 9 mètres à l’époque de l’équinoxe, y remontait le cours d’eau sur une assez grande longueur ; et, pendant les marées moyennes, le fond de la vallée était accessible aux navires d’un petit tonnage. Il parait à peu près certain qu’à l’époque romaine, Etretat était utilisé comme port d’échouage, et peut-être même comme refuge. On y a trouvé d’assez nombreux débris gallo-romains, poteries, briques, mosaïques, des monnaies, des tombeaux, des substructions que les antiquaires croient avoir appartenu à d’anciens bains, les ruines d’un aqueduc, et, dans les environs, les vestiges d’une chaussée qui paraissait se diriger vers Lillebonne[1]. Ces traces d’un passé qui remonte à près de 2 000 ans ont conduit quelquefois à placer à Etretat la station maritime de Caracotinum de l’Itinéraire d’Antonin. Cette assimilation est, à vrai dire, un peu douteuse ; mais l’existence d’Etretat à l’époque romaine est absolument certaine ; et il est même assez probable que les navires pouvaient y faire escale.

  1. L’abbé Cochet, Voie romaine de Lillebonne à Étretat, — Etretat souterrain. — Sépultures gauloises, romaines, franques et normandes.