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— Donc, mon fils, reprit le vali, quand Mohammed eut fini de humer la neige parfumée de roses, cesse de tourmenter ton poignard, et m’écoute : Nul, mieux que toi, s’il en faut croire la rumeur publique, encore qu’elle soit chose vaine, ne s’entend à modeler ou à peindre les figures et les signes. Nul ne sait rehausser une rondelle ou une adargue d’ornemens plus élégamment combinés, et aussi de ces entrelacs ingénieux où un trait ténu s’enroule, court, disparaît sans se rompre, puis reparaît. Ainsi, au cours d’un récit adroitement mené, notre attention est tenue en suspens par la magique faconde d’un lettré. Sous ta main experte, les corps naissent, avec leurs proportions et leurs divers aspects : tels, dans les profondeurs des cavernes, se forment les précieux métaux, par l’influence mystérieuse des astres.

On m’a dit, et j’ai laissé dire, qu’avec un pinceau, des pointes de roseaux, de l’or moulu, du vermillon, quelques autres poudres, et, je crois, avec la résine, la cire et les gommes de l’Inde, tu réussissais à former, toi aussi, des créatures, et qu’il leur manquait seulement la vie. Est-il, d’ailleurs, dans cet ordre d’idées, et en réservant, comme de juste, la puissance d’Allah, quelque chose d’impossible pour celui qui produit ces plats, chatoyans à faire croire que les rayons du soleil emprisonnés dans l’émail cherchent à s’échapper au dehors, pour la plus grande joie de nos yeux ? Mohammed, toi qui es habile entre les peintres, ne voudrais-tu pas pétrir un simulacre de cire, à la ressemblance de cette jeune Celindaja dont tu n’es pas, je pense, sans avoir entendu parler ?

Mais Mohammed, redoutant un piège, secoua la tête, et, gardant les yeux baissés, répondit :

— Jamais, mon père, je n’ai ouï parole se rapportant à cette dame. Car personne, l’eût-on connue même, n’en aurait osé dire un mot. Cheick Seef ben Saïd, c’est une grave offense que de prononcer le nom de la femme d’autrui.

L’Almoravide caressa sa barbe et continua, impassible :

— Ne pourrais-tu, mon fils, reproduire les traits de ma favorite, qu’Azraël a cueillie dans sa fleur, et, par l’artifice de la couleur, mettre en eux l’illusion de la vie ? On m’a raconté qu’un calife de Damas avait ainsi réuni, dans sa maison, autant de statues qu’il possédait d’épouses. À chacune d’elles, il ne manquait que la voix. Et les visiteurs en demeuraient confondus.