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la légère, car je suis un vieillard, et mes paroles valent d’être entendues…

Mais Mohammed, frémissant d’impatience, songeait :

— Le vali parle avec abondance, comme tous les gens âgés ; et il a la langue dorée. Toutefois, sa faconde et son astuce ne prévaudront point contre ma prudence.

— Si, continuait le cheick Ibn ben Saïd, j’étais un de ces étourneaux dont la tête tourne à toute saute de brise, si j’étais un de cet adolescens qui ne songent qu’à briller dans les parades et les tournois, tu pourrais négliger de m’entendre. Mais je suis un vieil homme et dont la peine est profonde. Sans doute ai-je trop bataillé en mon temps, — si l’on pouvait trouver qu’il y ait excès dans le service de la Loi. Mes épaules se sont voûtées sous la chemise de mailles, et ma main s’est rendue tremblante pour avoir manié l’épée. Une pareille fatigue, Mohammed, a gagné mon cœur, tant il me semble aujourd’hui incapable de supporter mon chagrin. Jadis je me riais de tout, et ma vie coulait, insouciante et libre, comme un fleuve qui descend au caprice des accidens de son lit. Pour moi, alors, toute femme en valait une autre, et je n’étais sensible qu’aux différences que comportait leur beauté. Car, des laides, il ne saurait être question. J’en perdis quatorze, et des plus belles, à la bataille d’Arnisol. En cette journée, où Allah nous abreuva du fiel amer de sa colère, je fus le seul à ne pas réciter la prière de la peur, et la victoire des Infidèles n’empêcha pas ma laine de pleurer du sang. Je fauchai dans les rangs pressés de ces Aragonais qu’un jour de folie changea en loups ravisseurs, alors qu’ils n’avaient été jusque-là que des chiens impurs, aboyant aux cornes courbées du Croissant. Ce que j’ai fait sera écrit dans les livres. Tu es trop jeune pour avoir connu cela ; et tu penses, en ton particulier, que c’est grande pitié d’entendre ainsi se vanter un vieillard dont la main ne saurait plus, à cette heure, réduire une jument rétive. Ne t’impatiente point : je vais rentrer dans l’utile. Je te compterai trois cents pièces d’or, comme arrhes du marché que je veux conclure avec toi ; et tu en recevras autant quand tu m’apporteras l’image de cire, rehaussée d’une coloration naturelle.

Et le vieux cheick découvrit un petit bahut, dissimulé sous le tapis où il se tenait accoudé. C’était un coffre dont les panneaux bariolés se chargeaient de mille clous, de cornières et de pentures de cuivre, allégées et fenêtrées avec un art puéril et