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curieux. Il leva le couvercle bombé. Dans le fauve ruissellement des dinars qui coulèrent entre les doigts secs et noueux du vali, Mobammed Al ben Azziz sentit ses scrupules se fondre comme la neige des Algarves au souffle brûlant, du Kamsin, quand ce vent africain traverse la mer. Et il se payait de diverses raisons dont la principale était que les textes sont souvent altérés, et qu’ils deviennent, par suite, de vastes réservoirs d’erreurs où se noient les meilleurs esprits. Il songeait encore que les hommes les plus savans, ou réputés pour tels, considèrent l’Hadith comme la plus obscure et la plus incertaine des lois, et qu’avec une grosse somme d’argent on peut se rendre considérable parmi les bommes et ouvrir des avis ayant chance d’être écoutés. Et Mohammed pensait, par surcroît, que la monnaie des califes est bonne contre toutes espèces de maux. Il se rappela, tout à coup, que des juifs marocains parcouraient, en ce moment même, le pays, en quête d’acheteurs pour une belle esclave blanche. Il lui souvint, aussi, que son écurie ne renfermait qu’une jument grise, un mauvais cheval et un âne, et que son bouc était devenu très vieux.

Cependant Seef ben Saïd continuait de parler, tandis qu’une gazelle familière, qui s’était rapprochée du coffre dans l’espoir d’y trouver du riz, s’agenouillait, puisse couchait paresseusement sur la robe du vali.

— Comment, Mohammed, es-tu assez simple pour croire que le Prophète ait pu établir des d’ingérences profondes pour séparer les êtres vivans ? Je crois qu’à l’exception des croyans, toute créature porte en soi une destinée semblable. Entre une captive chrétienne, comme l’était ma précieuse fleur de beauté Celindaja, et cette gazelle, par exemple, je ne vois qu’une différence de forme. Car en elles deux résident la souplesse et la grâce, et l’on pourrait se tromper, si l’on ne considérait que l’éclat de leurs yeux…

Ainsi, par ses paroles pesées, auxquelles il mêlait, à plaisir, le tintement des sequins, le cheick Seef ben Saïd s’appliquait à vaincre l’obstination du peintre Mohammed.

Mais celui-ci demeurait anxieux, car la prudence parlait, en lui pour déconseiller l’entreprise :

« Les promesses des hommes, pensait-il, sont tracées sur l’eau, et il est plus d’un souffle pour en modeler les rides à son caprice. Le cheick, sa fantaisie une fois passée, oubliera ses engagemens, et la honte me restera d’avoir fait, pour rien, une chose contraire à la Loi. Je resterai en butte au mépris de mes