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Comme il parcourait, certain jour, une forêt en quête d’un hasard profitable, il rencontra un fakir qui s’avançait lentement. Appuyé sur son haut bâton où sonnaient les rondelles de cuivre destinées à écarter les serpens, le vieux sanniassy paraissait continuer ce bois dur et rugueux, tant ses membres et son corps nus étaient maigres et noueux. Sur son flanc que chaque effort du souffle creusait, en exagérant les rides de la peau tannée, pendait une noix de coco sculptée où quelques paquets de riz, farci de mouches, s’enveloppaient dans des feuilles de bananier. Et l’homme décharné progressait à la façon d’un insecte mutilé ; on eût dit une araignée gigantesque, réduite à trois pattes, et qui se hâtait parmi les roches. Sur son crâne, taillé en pointe, s’enroulaient les nattes de ses cheveux gris, sa barbe hérissée tombait sur sa poitrine dont chaque côte apparaissait, tendue comme un arc, et les poils en ressemblaient aux herbes qui pendent des parois d’un torrent. C’était un mendiant vénérable, illustre dans tout le Carnatic pour son austérité et sa science. Le bruit courait que le jour où il mourrait, si cela arrivait Jamais, son bâton se changerait eu une queue de vache, afin que les prescriptions de la loi fussent observées. Par ses mortifications, il s’était élevé au suprême degré de la puissance mystérieuse : il pouvait demeurer plusieurs semaines enterré comme un cadavre, puis se relever dispos ; il pouvait planer dans l’air et marcher sur les eaux, disparaître à son gré et se rendre invisible, défier le tranchant des armes. Son autorité dans les familles était incontestée ; il accordait les plaideurs et s’occupait des mariages. Rien ne lui était inconnu.

Bidji salua respectueusement le sanniassy et passa son chemin, car on ne doit point interroger les yoguis qui n’aiment pas être troublés dans leurs méditations : tout discours est une trame subtile où peut s’embarrasser la vertu sans espoir de retraite. Mais le fakir s’arrêta et appela le prince déchu :

— Fils de Chandraja, dit-il d’une voix faible et sourde, je ne serais pas étonné si quelque jour ton ennemi Chatoun portait la peine de ses fautes. Son avarice et sa superbe crient contre lui, et il ne donne rien aux religieux errans, et il les repousse avec mépris.

Bidji ne fut point surpris, à s’entendre ainsi nommer, car rien n’est caché aux vanaprasthas du désert. Et, sentant que celui-ci pouvait lui faire quelque communication utile, il troussa son