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qui exige de l’aisance dans les manières et quelque sûreté dans la démarche. Quelques comparses finissent par s’intéresser à l’action et gagnent même de l’amour-propre au contact des acteurs. On cite l’exemple de celui qui, dans une féerie, se plaignait amèrement qu’on lui fit faire les jambes de derrière d’un éléphant, tandis que son camarade, moins ancien que lui, faisait les jambes de devant. Cette émulation est rare ; le figurant est en général assez passif, fort indifférent, et l’on a vu des « scarabées, » mal surveillés, qui s’arrangeaient pour jouer au piquet en scène.

A l’Académie nationale de musique, les choristes, bien que leur caisse des retraites ait été récemment supprimée, faute de fonds, se regardent un peu comme des employés de ministère. Ils ont une tendance fâcheuse à former des rues, les mains dans le rang, alignés et figés en troupes militaires. Il n’est pas impossible cependant d’animer une foule, au lieu de la laisser se mouvoir en paquets, d’y faire des jeunes, des vieux, de persuader à chacun, avec un peu d’effort, qu’il joue pour son compte et chante des choses différentes de son voisin. En s’ingéniant à leur expliquer avec patience ce que l’on attend d’eux, on parvient, sans qu’il en coûte plus cher, à leur faire recommencer dix fois de suite, de bonne volonté, le tableau difficile que l’on veut régler. M. Carré y a réussi, à l’Opéra-Comique, en renouvelant un antique personnel, et M. Gailhard agit de même, à l’Opéra, en faisant figurer d’abord et, depuis peu, chanter le corps de ballet, où se rencontrent des sujets dociles, capables de porter un costume avec élégance.

Danseurs et danseuses trouvent, dans ce nouvel emploi, quelque compensation au caprice de la mode contemporaine, qui semble abandonner leur art. — Non que cet art soit en décadence ; bien au contraire. S’il a évolué, s’il travaille de nos jours les bras beaucoup moins que les jambes, il est devenu de plus en plus ardu et complique. Dans une mesure à quatre temps, il entre trois ou quatre fois plus de « variations » qu’il y a cinquante ans, et l’on eût fait jadis un ballet d’une heure avec un « divertissement » qui dure aujourd’hui quinze minutes.

Avouons-le sans détour : le goût de la danse périclite. Voici deux siècles, c’était le plaisir le plus apprécié, le plus répandu, toujours renouvelé et toujours en honneur : « Sans la danse, un homme ne saurait rien faire, « dit le maître à danser du