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dans lesquels s’écoulaient les eaux pluviales et qui constituaient de longs vallons sensiblement parallèles, découpant le pays en une série de compartimens à peu près rectangulaires.

Un de ces créneaux obstrués a conservé cependant son caractère d’estuaire ; c’est celui dans lequel coule la rivière de la Bresle et dont la large embouchure est occupée, sur la rive gauche, par les bassins du Tréport, sur la rive droite, par la séduisante plage balnéaire de Mers. La vallée de la Bresle a une ouverture de près de 2 kilomètres, barrée en grande partie par un banc de galets. Elle conserve à peu près cette largeur jusqu’à la petite colline couronnée par le château d’Eu, se prolonge ensuite sur une quinzaine de lieues dans la direction du Nord-Ouest au Sud-Est, qui est la même pour tous les cours d’eau de la région depuis la Seine jusqu’à la Somme. C’est le dernier grand sillon du pays de Caux, le large fossé qui sépare la terre normande de la Picardie.

Le Tréport et Ee ont constitué pendant tout le moyen âge un même établissement maritime, le premier n’étant en quelque sorte qu’une rade conduisant au second, qui était le port. Les alluvions récentes de la Bresle permettent de déterminer d’une manière très exacte le contour de l’ancienne baie, qui avait une largeur moyenne de 1 500 mètres et s’enfonçait de 4 kilomètres dans l’intérieur des terres. Cette baie existait très certainement à l’origine de notre ère, et très probablement elle a reçu souvent les flottes des Normands du IXe au XIIe siècle. On a voulu quelquefois y voir le portus ulterior où César aurait concentré une partie de sa flotte à la veille de son départ pour la Grande-Bretagne ; mais le texte de l’auteur de la guerre des Gaules est très laconique, et il a été l’objet de tant de commentaires qu’il serait peut-être imprudent d’émettre à ce sujet une opinion bien motivée. Ce qu’il y a d’intéressant à remarquer, c’est que le nom de Tréport, — trois ports ou troisième port, — semble indiquer que le littoral, ou tout au moins la baie de la Bresle, présentait autrefois plusieurs mouillages, plusieurs petites criques où la marine de l’époque pouvait trouver un abri contre les coups de mer du large.

Comme partout sur la côte normande, le courant littoral a peu à peu échoué au-devant de l’estuaire un long banc sous-marin qui est devenu un véritable barrage. La Bresle a été ralentie dans son cours, et ses eaux ont divagué. La vallée s’est