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il ne paraît guère qu’on s’en soit ému dans la société dont nous parlons. Attachée à la vieille monarchie, elle voyait avec défiance ces nouveautés dont les Parisiens faisaient si grand bruit ; elle en prenait peu de souci. Chacun n’a-t-il pas ses petites affaires, plus pressantes que celles de l’État ? M. Huvier des Fontenelles continuait de rimer ses vers galans. Aujourd’hui même, en dépit de la diffusion des journaux qui forcent l’attention la plus rebelle, une cuirasse d’indifférence défend certains cercles de province contre les agitations de la politique. Combien plus épaisse elle devait être à cette époque ! Un exemplaire de la gazette était une rareté, l’habitude n’avait pas dressé les esprits à une perpétuelle immixtion dans la chose publique. Je ne sais si je m’abuse ; mais, pour nous qui regardons ces gens insoucians avec la connaissance de leur lendemain, il y a un intérêt tragique dans le spectacle de leurs vies dépourvues d’intérêt. La Révolution fond sur eux, et ils ne la voient pas ; la Terreur est là, derrière la porte, prête à semer l’épouvante dans la réunion joyeuse ; elle va entrer, et nul ne l’entend venir.

Ils eussent peut-être échappé jusqu’au bout à ses griffes et achevé sans mésaventure leurs paisibles destinées, s’il n’y avait eu un loup dans la bergerie. C’était le citoyen Le Roy, futur juré au tribunal révolutionnaire. Il signait : Le Roy de Montflobert, officier de Mgr le duc d’Orléans. M. Wallon lui donne même le titre de marquis, mais on ne voit pas qu’il fait pris à Coulommiers. Il allait d’ailleurs échanger toutes ces qualifications contre le surnom patriotique de Dix-Août. C’est le type accompli du jacobin de province. Affilié au club de Paris, il en apporte les passions et la faconde dans sa petite ville. Aigri, envieux, sournois, il prépare lentement sa vengeance contre la société royaliste qui lui a battu froid, sans doute parce qu’il appartenait au monde suspect du Palais-Royal. Dans Coulommiers, Le Roy est à lui tout seul la Révolution.

Plus on lit les documens provinciaux, plus on s’aperçoit qu’il en fut partout ainsi : dans chaque bourgade, dans chaque commune, un seul homme a donné le branle à la Révolution ; il l’a commencée pour venger quelque blessure secrète, quelque intérêt lésé ; il l’a poussée aux pires excès pour contenter son ambition. Et cet homme n’est jamais mort. Quiconque est familier avec la vie rurale connaît Le Roy de Montflobert : le vieux jacobin a traversé tous les régimes, embusqué dans la commune,