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Bas la chaire de cette église, seule tribune d’où il pût épancher son éloquence aux jours des cérémonies civiques. Il parla du haut de cette chaire à la bénédiction du drapeau des gardes nationales, il y prononça l’éloge funèbre de Mirabeau, en avril 1791. Il y fit applaudir des prosopopées dans ce goût : « Généreux citoyens qui avez secoué les préjugés, comme le lion endormi, à son réveil, secoue la goutte de rosée tombée sur sa crinière, vous répéterez sans cesse à votre postérité naissante : liberté, égalité, ou la mort ! » Un jour, Le Roy s’avisa d’une de ces bonnes idées qui tracassent les curés, même constitutionnels : il institua un concours où les enfans du catéchisme réciteraient la Déclaration des Droits de l’homme. Décidément, ce jacobin ne laissait rien à inventer aux autres. Le curé se fâcha, sortit de l’église avec tout son monde ; le maire dut (descendre de la chaire, on lui signifia de n’y plus remonter. Ce jour-là, Le Bas fut marqué pour la guillotine.

Cependant les événemens marchaient. L’aîné des fils de Mme de Marolles, Charles-Nicolas, avait reçu son brevet d’officier en avril 1791. Prêterait-il le nouveau serment ? Rejoindrait-il les camarades qui l’avaient précédé à l’armée de Condé ? Grave question : les perplexités du jeune homme et de sa mère apparaissent dans leurs lettres au bon abbé Cagnyé. Où était le devoir ? Où étaient aussi l’intérêt bien entendu et la sécurité ? C’est surtout, il faut l’avouer, de ce dernier point de vue que les consultans envisagent le dilemme. Ils ne sont pas des héros cornéliens, ils ne fardent pas la vérité de leurs sentimens ; et leurs dépositions ont d’autant plus de prix pour l’historien qu’ils appartiennent à l’humanité moyenne. — Voilà donc le cas de conscience de l’émigration posé dans une jeune Ame, comme il a dû se poser dans des milliers d’autres. On peut douter qu’il ait beaucoup inquiété les courtisans de Versailles, les familiers des princes qui gagnaient la frontière avec Calonne : ceux-là durent prendre leur parti sans combat intérieur ; la vivacité de leur ressentiment, la vue plus nette des dangers qui menaçaient le roi, l’entraînement du milieu, et peut-être aussi des calculs ambitieux, tout contrebalançait leurs scrupules, si toutefois ils en eurent. Le jeune de Marolles et ses pareils étaient voués par leur condition au conflit des sentimens contraires. Vivant plus près du peuple, fortement attachés à la terre, ils y étaient mieux enracinés que les grands ; ils avaient moins à perdre dans la