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de la veille. Il n’a pas compris que son roi transformé était mort avant d’avoir vécu. Marolles a vu le retour de Varennes, et il a pu croire que ce prisonnier humilié gardait encore une parcelle de l’autorité souveraine ! Il a vu Roland, le ministre selon son cœur, souffleter aux Tuileries l’héritier de Louis XIV avec la lettre insolente dictée par Mme Roland : « Sire, l’état actuel de la France ne peut subsister longtemps… » et il a espéré que le prestige royal survivrait à ce soufflet de l’implacable femme ! Il a vu, au 20 juin, le bonnet rouge sur la tête de son mannequin constitutionnel, et il ne s’est pas dit qu’autant valait couper tout de suite cette tête, à jamais découronnée ! Etonnant philosophe ! Même après le Dix Août, je ne jurerais pas qu’il soit tout à fait désabusé. Même après le Dix Août, tout peut encore s’arranger avec la Constitution, avec une bonne majorité au centre… C’est la conviction qu’ils porteront jusque sur l’échafaud, ces inventeurs maniaques d’ingénieux mécanismes qui ne fonctionnent jamais, ces victimes de l’idée fixe, victimes aussi de leur infinie suffisance.

Les naufragés de la politique rentrèrent au port, dans ce cher Marolles où la bonne mère eut bientôt la joie de recevoir son fils aîné, revenu de Saint-Domingue. Le monde royaliste de Coulommiers boudait l’ancien législateur, suspect de jacobinisme ; on lui tenait rigueur de son « ralliement » à la Constitution, dit spirituellement l’éditeur des Lettres. N’importe, ils allaient enfin vivre heureux et tranquilles, pensait Mme de Marolles. Son rêve ne paraissait pas irréalisable, dans ce district relativement paisible de la Brie. On a un Journal sommaire des événemens locaux, rédigé par M. Aubert de Fleigny durant l’année 1793 : en dehors des réquisitions pour les subsistances, qui furent là comme partout une cause de gêne et de désordre, ces événemens sont une gelée sur les vignes, la reprise des assemblées mondaines chez Mlles de Mauroy, le concert instrumental qui réunit les amateurs chez l’un d’entre eux tous les jeudis, les danses autour de l’Arbre de la Liberté : M. de la Plumasserie, président de la municipalité, et M. Galette-Renard, commandant de la garde nationale, mènent la contredanse avec les dames de la meilleure société. Le journal ne contient pas une ligne qui ait trait à l’exécution du roi.

Tandis qu’on dansait à Coulommiers, une haine veillait à Paris, guettant le moment propice pour se satisfaire. Le Roy de