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Mais, malgré la tendance que j’ai signalée chez Nicot, on n’avait pas, vers le milieu du XVIIe siècle, de dictionnaire purement français et destiné aux Français eux-mêmes. L’utilité d’une pareille entreprise n’aurait sans doute pas frappé les hommes du XVIe siècle. La langue française, qu’ils prétendaient « illustrer » et rendre capable d’exprimer les plus hautes conceptions de la pensée et de l’art, était pour eux un immense réservoir de mots et de formes où chacun pouvait puiser à sa guise et suivant sa fantaisie ; elle leur apparaissait riche et flottante comme la nature elle-même. Ils avaient d’ailleurs le sentiment que cette langue qu’ils façonnaient avec tant de liberté se modifiait incessamment, et que le flot où ils trempaient leurs mains ne repasserait plus le même devant leurs successeurs. La réflexion mélancolique de Montaigne à ce sujet est bien connue. On avait abandonné le port tranquille du latin, immuable dans sa forme classique restaurée par la Renaissance, et on se trouvait lancé sur une mer sans rivages, qui entraînait vers des horizons toujours nouveaux. Comment prétendre s’arrêter et déterminer un point fixe dans ce voyage dont on ne connaissait pas la route et où chaque équipage voyait bien vite loin derrière lui ceux avec lesquels, au départ, il avait marché de conserve ?

De tout autres vues se firent jour dès le début du XVIIe siècle, dès l’avènement de Malherbe. On commença à croire que la langue française pouvait être « fixée, » qu’elle était déjà arrivée tout près de son point de perfection, et qu’avec quelques efforts, on parviendrait à lui donner ce caractère de stabilité qu’elle avait jusque-là envié au latin. C’est à quoi travaillèrent Vaugelas et les « puristes, » en s’attachant à établir, d’après le « bon usage, » des règles pour le choix des mots et pour l’emploi des formes et des tournures. C’est ce que Richelieu voulut réaliser définitivement en fondant l’Académie française (1635). Cette compagnie avait pour mission « de donner des règles certaines à notre langue et de la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences. » Elle devait en conséquence composer uni ! Grammaire et un Dictionnaire qui auraient une autorité officielle — sans parler d’une Rhétorique et d’une Poétique, qui, à vrai dire, dépassaient les limites propres de sa fonction, puisqu’elles auraient eu une valeur non plus nationale, mais universelle. L’Académie, on le sait, n’a fait ni la Rhétorique, ni la Poétique, ni même la Grammaire ; mais, dès ses premières