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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/259

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aux premiers rédacteurs. La question qui s’était posée à eux était très grave : devaient-ils prendre leurs exemples dans les bons auteurs ou les faire eux-mêmes ? L’Académie française avait pour lointain modèle l’Académie de la Crusca, fondée à Florence dès le XVIe siècle, qui s’était donné pour mission, comme son nom l’indique, de séparer le son (crusca) d’avec la fine « fleur » de la langue. Mais la situation et le point de vue des deux compagnies étaient très différens. L’Italie n’avait pas de langue littéraire à la fois unifiée et vivante, ce qui tenait, comme Dante l’avait bien vu, à ce qu’elle n’avait pas de « cour » ou de capitale. La Crusca posa en principe que la langue littéraire était la langue des bons écrivains toscans du XIVe siècle ; elle dépouilla donc leurs ouvrages pour munir d’exemples les mots qu’elle enregistrait, et admit à la suite les ouvrages des auteurs qui passaient pour avoir écrit dans le style le plus rapproché de celui du buon secolo. L’Académie française ne pouvait procéder ainsi. Elle était fondée sur les idées de Vaugelas et de son école, qui espéraient bien fixer le bon usage, mais qui se bornaient à l’observer dans la langue des gens réputés pour bien parler et surtout de la cour. Il n’y avait pas d’écrivains qui pussent être proposés comme modèles. L’académie sentait d’ailleurs confusément que la langue même qu’elle avait entrepris de fixer était tout près d’atteindre un plus haut degré de perfection et que les classiques étaient devant elle et non derrière. Elle se résolut à faire elle-même des exemples où serait montré le bon emploi des mots, et, si l’on songe que ces premiers exemples, — qui restent, comme je l’ai dit, le fonds auquel on n’a que peu ajouté et retranché, — remontent en bonne partie aux meilleurs écrivains de notre littérature, on en sentira tout le prix, et on comprendra qu’ils soient généralement bien choisis, bien composés, simples et expressifs, suffisans sans être surabondans, en un mot véritablement classiques. C’est avec une fierté qui n’est pas sans grandeur, — mais dont on n’a plus osé reproduire l’assurance, — que la préface de la première édition s’explique à ce sujet, quand beaucoup des illustres collaborateurs vivaient encore : « Le Dictionnaire de l’Académie a été commencé et achevé dans le siècle le plus florissant de la langue française, et c’est pour cela qu’il ne cite point, parce que plusieurs de nos plus célèbres orateurs et de nos plus grands poètes y ont travaillé. »

Voltaire regrettait dans le Dictionnaire l’absence de citations :