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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/261

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heureux pour l’Académie, en ce cas encore, qu’elle n’ait pas essayé d’exécuter le plan de Voltaire.

Une autre idée qu’il avait est plus originale et plus intéressante : « J’aurais voulu, dit-il, comparer l’emploi, les diverses significations, l’énergie de chaque mot avec l’emploi, les acceptions diverses, la force ou la faiblesse des termes qui répondent à ce mot dans les langues étrangères. » Ce serait un bien beau sujet d’étude ; mais où en seraient les limites ? À quelles langues étrangères Voltaire voulait-il étendre ses comparaisons ? et quel plan aurait-il voulu qu’on suivît ? Il ne nous l’a pas dit. Il lui reste l’honneur d’avoir indiqué à la « sémantique » comparative un domaine qu’encore aujourd’hui elle n’a guère abordé, et dont l’exploitation serait fructueuse pour la philosophie du langage, si étroitement liée à l’histoire de la pensée humaine, pour la « psychologie des peuples, » et pour l’intelligence des diverses littératures[1].


III

Sauf les éditions successives des dictionnaires de Trévoux et de l’Académie, le XVIIIe siècle a été à peu près stérile pour la lexicographie française[2]. Le XIXe siècle n’a pendant longtemps produit que des compilations plus ou moins indigestes, — celles de Boiste, de Bescherelle, de Napoléon Landais, — dont les auteurs se sont attachés à ramasser le plus de mots possible, les acceptant de toutes mains et sans contrôle, les définissant de leur mieux, mais sans faire œuvre, à proprement parler, ni littéraire ni philologique. Ils ont cependant rendu quelques services, ainsi que le rédacteur, plus réfléchi, du Complément du Dictionnaire de l’Académie, en recueillant de nombreux mots, surtout des termes techniques, qui avaient été négligés par leurs

  1. Une autre idée intéressante de Voltaire, plus facile à réaliser et aujourd’hui réalisée en partie, était de noter « ce que nos voisins ont pris de nous, ce que nous avons pris d’eux. »
  2. Il faut toutefois mentionner l’Encyclopédie, qui n’est pas un dictionnaire complet, mais qui, notamment pour les sciences et les arts et métiers, a enregistré beaucoup de mots pour la première fois et en a défini beaucoup avec un soin qui la rend encore extrêmement utile. — Il faut aussi noter le grand recueil de mots du vieux français qu’avait compilé Sainte-Palaye, et qui n’a été imprimé que longtemps après sa mort.