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dans toute son horreur. Elle « n’osait regarder en arrière, ni se livrer aux souvenirs les plus doux. Et mon avenir ! s’écriait-elle, je n’en ai pas ! Ah ! si je n’avais pas votre tendresse, je serais perdue. Ne m’en ôtez rien jamais ! jamais. »

Cette note plaintive revient fréquemment dans ses lettres, quand ils sont séparés et quelquefois émouvante et pathétique, comme dans celle-ci en date du 26 août 1838 :

« Votre lettre d’hier m’a fait pleurer. Oui, nous sommes malheureux tous les deux, bien malheureux. Mais je le suis bien plus que vous. Vous avez des enfans à élever, vous avez une patrie, vous avez des devoirs publics une belle carrière à soutenir. Vous avez un home. Qu’est-ce que j’ai ? Pensez à tout ce que j’ai perdu. Pensez à ce qui me reste et ne soyez pas mécontent lorsque je vous montre de la tristesse, beaucoup de tristesse. J’en ai moins auprès de vous. Quelquefois même, j’oublie auprès de vous mes chagrins. Mais lorsque je me retrouve en face de moi-même, rien que moi ! Ah ! c’est affreux.

« Tous les jours je le sens davantage, parce que je ne vois aucun terme à cette dure situation. Je la vois au contraire s’empirer tous les jours, j’ennuie ou je mécontente ceux auxquels je parle. Vous-même je vous ennuie peut-être, je vous mécontente peut-être. Vous trouvez que je n’apprécie pas assez la seule consolation que le ciel m’a envoyée. Vous vous trompez ; mon cœur est plein de reconnaissance, d’affection, mais encore une fois j’ai trop perdu, trop, et je rencontre de la froideur, de la dureté là où je devais attendre du soutien, de la consolation. Et plus cela se prolonge, plus mon cœur se révolte. Vraiment quelquefois il est prêt à se briser. Je ne me sens de courage pour rien. Il me semble que, jamais je n’ai été si triste. Je ne devrais pas vous dire tout cela, mais songez qu’il n’y a plus que vous à qui je le dise. Pardonnez-moi, ne vous fâchez pas. Ayez pitié de moi.

« Qu’il y a longtemps que nous ne nous sommes vus ! Savez-vous que c’est là ce qui m’empêche de me bien porter. Il me semble que, si vous étiez auprès de moi, je serais bien, tout à fait bien. Que de fois je me sens saisie de ce besoin, ce désir d’aller où vous êtes, de causer avec vous, de vous dire tout. Ce n’est qu’avec vous que je sais parler, ce n’est que vous que j’aime à entendre. Je n’ai que tristesse et ennui là où vous n’êtes pas. Vous me manquez bien plus que moi je ne puis vous manquer. Soyez bien sûr de cela. »