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que l’Egypte, la Crète, la Sardaigne, la Sicile, toute l’Afrique du nord étaient dans le même cas, et qu’en fait, la population de Rome n’était approximativement que de deux millions d’habitans, et ils auraient bien pu se dire qu’il faut en toute chose réduire une expression à son exacte valeur et un l’ail à ses justes proportions. Mais peut-on s’aviser de tout ? D’ailleurs il y a, comme on sait, pour toute colonie nouvelle, une période d’engouement, et l’Algérie jouissait alors de la vogue contre laquelle ne prévaut aucun raisonnement.

La réalité était tout autre. L’Algérie, comme on sait, se divise en trois zones parallèles qui sont à partir de la mer le Tell, les Hauts Plateaux et le Sahara. De ces trois zones, les Hauts Plateaux et le Sahara ne se prêtent guère en raison du sol et du climat à la colonisation, le Tell seul dans son ensemble est cultivable et habitable pour l’Européen. Jadis, cette dernière région avait été couverte de villes et de domaines florissans ; mais, en 1830, elle était bien loin d’être ce qu’elle fut à l’époque romaine. Sans doute l’œuvre de la nature était toujours restée admirable ; les paysages étaient toujours merveilleux, pittoresques et gracieux sur la côte, sévères et grandioses dans la montagne ; le même soleil dorait toujours la plaine et étincelait sur les cimes de l’Atlas, mais ses rayons n’éclairaient plus rien de ce qui fut autrefois l’œuvre de la main des hommes : plus de routes, plus de voies de communication, plus de sources captées et d’aqueducs, en dehors du littoral, presque plus de cités, partout un amoncellement de ruines. Dans la partie du Tell qui touche à la mer et qu’on nomme le Sahel, c’est tout au plus si l’on voyait épars quelques haouchs ou corps de ferme ; tout le reste n’était guère que broussailles et palmiers nains. Le pays était abandonné aux hyènes et aux panthères. La crainte des Turcs avait depuis longtemps éloigné de là les tribus nomades, et c’est tout au plus si quelques misérables douars y venaient, quand le soleil avait desséché les herbages de la plaine, camper pour faire paître leurs troupeaux.

Dans l’autre partie du Tell qui touche à la montagne et aux Plateaux, et désignée aujourd’hui sous l’appellation commune de la Plaine, l’aspect était plus lamentable encore. Qu’on se figure une immense plaine nue et morne où ne se trouve ni une ville ni un village, où seuls quelques rares douars, quelques corps de ferme viennent révéler la présence de l’homme. A la surface du sol, les eaux venues de l’intérieur et qui ne vont plus à la mer