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étaient à peine moins éprouvés. Des établissemens européens qui, avant l’insurrection d’Abd-el-Kader, donnaient un aspect luxuriant à la Mitidja il ne restait pas un debout ; dans le Sahel la plupart étaient détruits et dans quel état pitoyable se trouvaient les autres qui avaient échappé à la dévastation arabe ! Il n’y avait plus d’habitans ; et, partout, des ruines. Une fois de plus on pouvait appliquer à l’œuvre du conquérant le mot de l’historien : pacem appellant ubi solitudinem faciunt. Pour avoir la paix, nous avions autour de nous fait régner la solitude.

Ainsi naquit, se développa et finit cette première phase de la colonisation algérienne, phase héroïque s’il en fut, et qui eût pu être si féconde. Si les résultats définitifs de l’œuvre ne furent pas tels que les débuts permettaient de l’espérer, la faute n’en fut pas certes aux colons. Eux avaient tout ce qu’il faut pour réussir, énergie morale, intelligence appropriée, vigueur de l’âge, ressources personnelles, et de ces qualités, et de ces ressources, ils surent sur le théâtre de leurs opérations faire le plus glorieux et le plus profitable emploi. Leur œuvre n’avorta que parce qu’il lui manqua deux choses, qu’il n’était pas en leur pouvoir de se procurer eux-mêmes, mais que la métropole eût pu facilement leur donner : la sécurité, et je ne dis pas l’appui, ni la bienveillance, mais seulement la neutralité de l’administration. L’une et l’autre leur furent refusées.

Ils n’en firent pas moins de grandes choses. Au début de la conquête, leur ténacité, leur obstination à croire à l’avenir de l’Algérie, alors que le monde officiel inclinait vers l’évacuation, furent une des causes principales qui engagèrent le gouvernement à rester dans le pays. Plus tard, ils défrichèrent le Sahel et la Mitidja abandonnés à la putréfaction depuis des siècles ; ils tirent l’essai de diverses cultures étrangères au sol algérien, jetèrent dans la terre des sommes sans compter et fondèrent des établissemens qui ont été le point de départ des florissantes cités actuelles. Leur œuvre morale ne fut pas inférieure à leur œuvre matérielle.

Ils surent se concilier la sympathie des indigènes en les regardant comme des hommes semblables à eux, et en leur reconnaissant les mêmes droits. Se montrant pleins de déférence pour leurs mœurs, leurs coutumes et leurs croyances, respectant leurs propriétés, payant rigoureusement leurs salaires, consentant de libres transactions, pratiquant en un mot à leur égard la plus