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alors sur toutes les lèvres, et ce fut toute la moralité de cette affaire où personne ne fit son devoir. Le duc d’York avait démissionné afin de prévenir une destitution ; l’orage passé, on lui rendit la haute situation qu’il méritait si peu et dont il avait si bassement abusé. Mrs Clarke ayant rédigé ses Mémoires, on les lui acheta moyennant une somme de 7 000 livres une fois payées, plus une pension annuelle de 400 livres pour elle et de 200 livres pour chacune de ses filles. L’imprimeur qui avait spéculé sur cette tentative de chantage, fut grassement indemnisé. On avait promis de réformer la scandaleuse organisation militaire qui rendait possible une telle prostitution de l’autorité : soixante ans se passèrent avant que la réforme eût lieu et, sans l’énergie dictatoriale qu’un Gladstone mettait au service du progrès, peut-être l’attendrions-nous encore. Ainsi finit cette triste histoire, triste, surtout, par son immoral dénouement, par l’apaisement, par l’amnistie, par le pardon impardonnable dont une société tout entière couvrit le crime et les coupables, prenant par là, devant l’histoire, une part de complicité dans l’infamie. Le souvenir de ces hontes d’antan devrait rendre l’Angleterre infiniment circonspecte lorsque, du haut de sa vertu, elle est tentée de jeter le blâme à d’autres nations qui ont eu le malheur de pécher.

Le duc d’York avait épousé une nièce de Frédéric II qui n’était ni laide ni sotte et que les caricaturistes ont traitée avec un certain respect. On célébrait son joli pied et son amusant petit museau. Elle se montra très raide sur les distances sociales. Non par austérité, j’imagine, mais par orgueil, elle refusa d’avoir rien à faire avec cet étrange pêle-mêle d’épouses morganatiques et de maîtresses légitimes ou quasi légitimes, presque mariées, demi-princesses et demi-courtisanes. Que fit-elle lors de l’affaire Clarke ? Probablement elle haussa les épaules. Voici la dernière lettre qu’elle écrivit avant de mourir à lord Lauderdale : « Mon cher ami, je fais mes paquets, car je vais partir prochainement. Soyez persuadé des sentimens que vous porte votre affectionnée amie. » Dans son laconisme presque dédaigneux, dans sa stoïque sécheresse, ce billet est plus que l’adieu d’une femme qui va mourir : c’est l’adieu d’un siècle qui finit.