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qui l’oubliaient que la décence, sous certains climats, n’est pas seulement une vertu, mais une nécessité. Le joyeux Gillray célèbre le retour des manchons et des fourrures avec cette légende qui parodie agréablement le style lapidaire : Ce que n’avait pu faire la morale, Borée l’accomplit.

Le chapitre des chapeaux, écrit au jour le jour, sous forme graphique, par d’innombrables dessinateurs, est un des plus variés. D’abord on voit expirer la calèche et le cabriolet, sortes de capotes qu’une femme, grâce à un long fil, était maîtresse d’abaisser quand il lui plaisait, afin de l’opposer, comme un rempart, à de trop vives curiosités. Puis, sur la tête des élégantes se montre un incompréhensible amas de tiges jaunâtres, quelque chose comme un toit de chaume ou une guirlande d’épis. C’est le chapeau de paille qui veut venir au monde et qui essaie différentes formes. Il naît enfin et il a pour rival le turban surmonté d’un bouquet de plumes. Le chapeau de paille est provoquant, familier et coquet ; le turban est solennel, presque tragique. Il régnera autant que Napoléon et prolongera son existence sur quelques crânes privilégiés qui bravent le ridicule. Le chapeau de paille semble éternel.

Presque en même temps que lui a surgi le chapeau moderne à haute forme. Sa brusque apparition a l’air de défier les lois de révolution et le vieil axiome Natura non facit saltus. Serait-ce un produit spontané de l’imagination révolutionnaire qui le crée de toutes pièces pour servir de symbole à la démocratie : laid, maussade, encombrant, égalitaire et fragile ? Cette explication accorde trop de génie à nos chapeliers de l’an III ou de l’an IV. Elle est, d’ailleurs, inutile.

Abaissez les bords du tricorne ; puis, relevez la calotte en substituant au cône le cylindre, son proche parent, et au feutre mat le poil lisse et miroitant du castor. Décrétez, au nom de la République une et indivisible, que le vague et la mollesse des formes, caractéristiques des institutions de l’ancien régime, seront remplacés par cette sévérité de lignes, toute géométrique, particulière à nos constitutions républicaines, et rien ne manque plus au tuyau de poêle, expression parfaite de la fusion ou, si l’on veut, de la confusion des classes. Aussitôt créé, ce chapeau fait ce que Bonaparte a vainement tenté : il envahit l’Angleterre et la conquiert ; mais là, il perd sa signification. Ce n’est plus un symbole, ce n’est qu’une coiffure.