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Trois ou quatre étudians, — est-ce à Oxford ou à Cambridge ? La scène pourrait être aussi bien placée aux bords du Gara qu’à ceux de l’Isis, — sont occupés à faire entrer une fille par la fenêtre dans les chambres du collège. Il est vrai que le Proctor les guette, mais soyez sûrs qu’ils recommenceront à la première occasion. D’ailleurs, les dignitaires de l’Université ne valent pas mieux. Voici un vice-chancelier qui lutine une fruitière et l’entraîne chez lui. Quant aux journalistes, nous en surprenons deux, qui cumulent avec cette fonction le caractère sacré, dans la plus mauvaise compagnie où il soit possible de se galvauder. Ils ne s’y sont point fourvoyés par exception ou par méprise : visiblement, ils sont là dans leur élément. L’un d’eux, Bate Darley, est un pugiliste distingué ; l’autre est habillé en Écossais et l’on fait cercle autour de lui pour le voir danser des réels. Le premier dirige le Morning Post et le second est rédacteur en chef du Morning Chronicle. Que serait-ce si nous jetions un regard sur le caractère et la vie du major Topham, qui était embusqué dans le World comme dans une tour, d’où il insultait et rançonnait les passans ?

Au premier abord, cela étonne un peu. Il semble difficile, par exemple, d’identifier telle feuille aujourd’hui puissante et respectée avec un clergyman ivrogne et bretteur, dont la physionomie ne dit rien qui vaille et dont on nous raconte pis que pendre. Mais ce premier étonnement passe dès qu’on lit les journaux du temps. Qu’y trouvons-nous ? De pédantes dissertations qui ne sont, souvent, que la réimpression d’articles oubliés ; les cancans du jour, le duel d’hier, l’enlèvement d’avant-hier, le tout méchamment, lâchement conté avec des initiales transparentes ; une ou deux épigrammes prétentieuses, la critique des livres nouveaux en trois adjectifs, impertinens ou louangeurs, suivant que l’auteur est l’ennemi ou l’ami du journal ; une poignée de fausses nouvelles et quelques réclames galantes à peine déguisées. Lorsque le journal n’est qu’un instrument de vengeance, de corruption et de chantage, le journaliste ne peut être qu’un goujat.

La caricature a-t-elle calomnié la société anglaise du commencement de ce siècle ? Je ne le pense pas.

Elle a exagéré par l’expression les ridicules, les incohérences et les vices de cette société : c’est la loi même de son art qui l’y obligeait. Mais, si elle a exagéré, elle n’a rien inventé. C’est une médisante, une indiscrète et une impertinente, non une