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plaisirs du monde n’existaient pas pour lui ; et tout porte à penser que, le jour où il a été nommé professeur de théologie à l’Université, sa principale ambition s’est trouvée satisfaite. Aussi bien a-t-il eu plusieurs fois l’occasion de refuser des fonctions plus brillantes, qu’on lui proposait avec insistance. En 1850, notamment, le chapitre de Salzbourg mit tout en œuvre pour le déterminer à se laisser élire archevêque de cet important et agréable diocèse : il déclara que l’épiscopat ne lui convenait point, et qu’il n’était pas au monde pour « pompam facere. »

Plus vraisemblable serait l’hypothèse d’une blessure d’amour-propre. C’est l’hypothèse qu’ont généralement acceptée ses adversaires, et le livre même de son apologiste n’est point sans lui fournir quelque fondement. Il nous montre en effet que l’hostilité de Dœllinger contre le pape et le Vatican s’est dessinée, surtout, à la suite d’un séjour fait à Rome en 1857 ; et M. Friedrich avoue que « Dœllinger éprouva un dépit très profond de ce que le pape ne l’eût nommé que camérier secret, et non point prélat de sa maison, comme aussi de ce qu’il eût, en même temps qu’à lui, accordé le titre de camérier à un prêtre de Spire, homme tout à fait ignorant et médiocre. » M. Friedrich l’avoue : mais les lecteurs de son livre auront peine à le croire ! Jamais, du moins, ils ne se résigneront à admettre que ce « dépit », ni aucun autre, ait contribué d’une façon active et directe à transformer en un ennemi forcené du Saint-Siège l’ancien « ultramontain » de l’Eos et du Mémorial Catholique. Non, la vanité n’a pas eu plus de prise que l’ambition sur l’âme toute désintéressée du vieux théologien. Dans les innombrables lettres que contiennent les trois volumes de M. Friedrich, pas une fois Dœllinger ne laisse voir la moindre apparence d’un grief personnel ; pas une fois on ne surprend chez lui l’ombre d’un amour-propre sérieusement piqué. Et ce n’est pas qu’il soit modeste : on a plutôt l’impression qu’il a cessé de se rendre compte de son existence propre, qu’il est devenu « système », lui aussi, comme le vieux Kant, et que l’univers entier s’est concentré, pour lui, dans la théologie.

Le fait est que sa conduite en 1870 n’a eu pour cause ni l’ambition, ni la vanité, ni aucun autre motif égoïste : je serais tenté de croire qu’elle a eu pour seule cause la théologie.

Un écrivain catholique suisse, Bernard Meyer, qui a connu de très près Dœllinger à Munich, en 1850, définit son caractère de la façon que voici : « Dœllinger n’est pour moi qu’une moitié d’homme. Jamais je n’ai rencontré personne chez qui les facultés intellectuelles aient pris un développement aussi énorme ; mais ces facultés ont toujours été,