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c’est l’opinion, telle que la formule la théologie. » Du jour où Dœllinger a cru s’apercevoir que les « chefs de l’Église » ne « s’inclinaient pas devant cette « force », — qui, d’ailleurs, s’incarnait toute dans son propre cerveau, — les chefs de l’Église lui sont apparus comme des ennemis, et il a estimé que tous les moyens étaient bons pour les accabler. En attaquant le pape, les cardinaux, les évêques, les « jésuites », de la manière dont il l’a fait pendant les années qui ont précédé son excommunication, il a été très sincèrement convaincu de servir la vérité ; son seul malheur était de s’être trompé, depuis l’enfance, sur la signification de cette « vérité, » n’ayant point reçu de la nature l’instrument nécessaire pour la pénétrer. Car, à supposer que l’on puisse, par l’intelligence, connaître quelque chose, ce n’est point par elle à coup sûr qu’on peut connaître Dieu.

Voilà ce que l’on doit dire pour la justification de cet « intellectuel » chez qui dès 1854, tandis qu’il ne s’occupait encore que de lutter contre le protestantisme, ses plus vieux amis s’accordaient à découvrir des « symptômes de l’esprit protestant ». Et voici maintenant quelques faits, pris un peu au hasard dans le troisième volume de la biographie de M. Friedrich. Ils feront voir à quelle fâcheuse inconscience morale peut être amené, par une sorte d’ivresse scientifique, une âme naturellement pleine de droiture et de dignité.


Dans un journal catholique du 2 mars 1861, Dœllinger avait lu que Pie IX avait dit à l’archevêque de Rennes : « Je ne me fais point d’illusion ; le pouvoir temporel va succomber. Quand Goyon m’aura abandonné, je licencierai mes troupes, j’excommunierai le roi, et, tranquillement, j’attendrai la mort. » Le 5 avril, le chanoine de Saint-Gaëtan, dans la salle de l’Odéon, à Munich, en présence du nonce et de toute la faculté de théologie, prononça un grand discours sur le Pouvoir Temporel. Les termes de ce discours, malheureusement, ne nous sont point parvenus, Dœllinger s’étant toujours refusé à les publier ; mais, de l’aveu de M. Friedrich, tous les auditeurs eurent clairement l’impression que l’orateur annonçait la fin prochaine du pouvoir temporel et s’en réjouissait au nom de l’Église, « ce pouvoir ne répondant plus aux exigences de l’époque présente ». Aussitôt, de toutes parts, les amis de Dœllinger lui témoignirent leur surprise, tant du thème qu’il avait traité que du moment qu’il avait choisi pour le traiter. Il répondit qu’il avait cru servir les intérêts du Saint-Siège ; et quand on le supplia de publier son discours, il promit, ajourna, ne publia rien.