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faire passer ses idées par le creuset d’autrui, et surtout les soumettre à un parlement ? Elles en ressortent souvent déformées ; quelquefois même elles y restent indéfiniment. Mais si l’élaboration parlementaire comporte inévitablement des difficultés et des lenteurs, elle offre des garanties qu’on ne trouve pas ailleurs au même degré. Au surplus, la question n’est pas là. C’est le droit absolu du parlement de se prononcer sur des questions aussi graves. Sans doute, la limite n’est pas très nettement tracée entre les matières qui appartiennent à la loi et celles qui appartiennent aux décrets, et il est impossible qu’elle le soit avec une précision absolue. On pourra toujours conserver des doutes sur certains objets qui sont en quelque sorte à cette limite même ; mais il semble que, dans un pays républicain comme le nôtre, l’incertitude doive profiter au Parlement. Nous parlons en théorie : dans le cas actuel, aucune incertitude n’est possible. On n’a jamais créé toute une institution par un simple décret, et si la pratique s’en établissait, autant vaudrait supprimer le Parlement. M. Bérenger, dans l’exposé des motifs d’une proposition de loi dont nous parlerons dans un moment, s’est demandé quels étaient ici les principes à appliquer. « Aucun texte précis, dit-il, n’a jusqu’à présent déterminé à la vérité les limites du pouvoir administratif ou gouvernemental et du pouvoir législatif. Mais le droit public en cette matière ne repose pas uniquement sur des règles de droit positif. Il a encore, et on pourrait dire principalement, pour base, un ensemble de principes fondés sur la nature même des choses et sanctionnés, d’ailleurs, par la pratique constante de tous les pays libres. Or, il est deux de ces principes qui ont jusqu’ici échappé à toute contestation. C’est que, si le décret gouvernemental est absolument compétent pour régler les difficultés pratiques résultant de l’application des lois existantes, il n’a aucun droit de les modifier. C’est en second lieu qu’il ne saurait, sans excès de pouvoir, créer une institution de nature à influer sur les conditions de la vie politique et sociale d’un pays. » Que l’institution créée par M. Millerand soit de nature à influer, et même très profondément, sur les conditions de la vie sociale et politique du pays, la chose est si évidente que ce serait perdre son temps de la démontrer. Il n’est pas moins certain qu’elle modifie les lois sur les conseils de prud’hommes et sur l’arbitrage. Les nouveaux conseils du travail sont destinés, en effet, à se prononcer sur des différends qui sont jusqu’à ce jour portés devant les conseils de prud’hommes : elle dessaisit ces derniers au profit des premiers. Quant à la loi sur l’arbitrage, elle est toute récente et elle n’a pas encore fonctionné souvent. Les Conseils du travail, s’ils