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frapper d’une incapacité ? A-t-on le droit de les traiter comme s’ils n’existaient pas ? Non certes, on n’a pas ce droit : mais M. Millerand se l’est arrogé ; il lui a suffi d’un trait de plume pour supprimer parmi les électeurs des conseils du travail tous les ouvriers qui ne sont pas syndiqués, c’est-à-dire les trois quarts d’entre eux. Ayant confiance dans les syndicats tels qu’ils sont aujourd’hui composés, il remet entre leurs seules mains les destinées de la classe ouvrière toute entière. Il a fait cela d’autorité, c’est-à-dire par décret, se doutant bien que les Chambres ne consacreraient pas une disposition aussi vexatoire, ou du moins que la discussion devant elles en serait longue, laborieuse et pénible. Ses décrets sont entachés d’une double incorrection, en ce qu’ils portent atteinte aux droits du Parlement et à ceux des ouvriers.

Il est fâcheux qu’une protestation ne se soit pas élevée tout de suite dans l’une ou dans l’autre des deux Chambres contre cette manière de procéder. Quelques explications ont bien été échangées à ce sujet entre un député et M. le ministre du commerce ; mais elles ont été sommaires et la question a été à peine effleurée. Au Sénat, c’est seulement le 29 mars dernier que M. Bérenger et quelques-uns de ses collègues ont déposé une proposition de loi, qui est en réalité un contre-projet venant se substituer aux décrets du 17 septembre 1900 et du 2 janvier 1901. Le retard s’explique sans doute par le fait que M. Bérenger, au lieu d’ouvrir une discussion qui aurait gardé sans cela un caractère un peu théorique, a préféré étudier à fond la question et la résoudre. Il n’a pas seulement reproché à M. Millerand ce qu’il avait fait, il a dit ce qu’il y avait à faire ; et un projet de ce genre ne pouvait pas être improvisé. Nous n’entrerons pas aujourd’hui dans l’analyse de celui de M. Bérenger. Mais bien entendu, et par imitation de ce qui se passe pour l’élection des conseils de prud’hommes, il a restitué le droit électoral à l’intégralité des ouvriers et des patrons : cela suffit pour le distinguer profondément du système de M. Millerand. Qu’a fait alors ce dernier ? Il s’est bien gardé de rien faire, car il ne pouvait faire quoi que ce fût sans provoquer une discussion, et il ne voulait pas de discussion. Provenant de l’initiative parlementaire, la proposition de M. Bérenger devait être soumise à la prise en considération : la prise en considération en a été effectivement proposée au Sénat par sa commission d’initiative. C’était là pour le ministère une excellente occasion de prendre parti ; il s’est contenté de dire qu’il ne s’opposait pas à la prise en considération. Cela signifiait-il qu’il tenait compte de la manifestation du Sénat, et qu’il sus-