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s’élevèrent immédiatement, à Genève, dans l’assemblée générale de la Ligue de la Paix et de la Liberté, pour le conjurer, s’il en était temps encore. « Que la France républicaine se garde, disait l’une de ces voix… Qu’elle ne glisse point dans le piège d’une alliance. Le Tsar, qui, à cette heure même, proscrit en masse les Israélites, n’est point touché de la grâce républicaine. » C’est en 1891, au moment où la manifestation de Cronstadt réjouissait l’unie française, que Mme Maria Goegg, — une Badoise — tenait à Genève ces propos mécontens ; et cette année-là, parmi les Français qui acceptaient d’entrer dans le comité de la Ligue, on remarquait, à côté d’un ancien ministre de la République que nous ne nommerons pas, un sénateur de l’Isère, Couturier, et une antique notabilité du parti républicain, M. Barodet. Drapés dans leurs utopies humanitaires, ils boudaient au nom des principes républicains ; et tandis que la diplomatie de la République rassérénait l’horizon de la France, leurs regards à eux, républicains historiques, se fronçaient de mauvaise humeur et s’enténébraient de tristesse. On les laissa dire ; une fois de plus dans l’histoire, ils avaient la France contre eux.

En 1895, le président Félix Faure prit le pouvoir : il avait acquis, dans une expérience précoce des affaires sérieuses, ce sens des réalités qui fait défaut aux simples hommes de parti, et ce sentiment des responsabilités, dont les politiciens de carrière se débarrassent volontiers pour pratiquer plus aisément l’art de parvenir. Il avait, par surcroît, cette connaissance intuitive de l’âme populaire, qui récompense l’amour qu’on a pour elle : le Parlement ne lui cachait point le pays. Il sut écouter et voulut réaliser le vouloir de la France. Durant la seconde année de sa présidence, M. Gabriel Hanotaux étant ministre des Affaires étrangères, le président Félix Faure eut la gloire de voir s’entremêler en un symbolique contact, tant à Pétersbourg qu’à Paris, les plis de deux drapeaux amis et alliés.

Depuis le Quatre-Septembre, vingt-cinq ans s’étaient écoulés ; et si l’on fait exception pour la politique dite « anticléricale, » la doctrine républicaine n’avait obtenu, jusque-là, que des satisfactions partielles, insuffisantes pour le fanatisme ou pour l’ambition de ses adeptes. La République avait encore des instituteurs qui continuaient d’apprendre aux petits Français le culte des gloires militaires, et qui ne laissaient point ignorer à ces futurs soldats l’histoire de notre frontière ; elle avait un état-major à