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il atteignit sa centième représentation sur celle du Schauspielhaus, le 2 décembre 1890.

Le premier acte, très touffu, très mouvementé, est une peinture vivante — bien qu’un peu artificielle — de l’anarchie dont souffrait le Brandebourg, en cette mémorable année de 1417. Il se passe à Berlin, et met en scène des bourgeois de toute condition, le bourgmestre, des conseillers, des maîtres d’état, leurs filles, des ouvriers. Ces braves gens se plaignent de leurs maîtres, qui ne s’occupent d’eux que pour leur nuire. Il leur faudrait un homme qui les délivrât de leur margrave, lequel ne remplit aucun de ses devoirs, et de la tyrannie des ducs de Poméranie, — vrais pillards, — un homme qui consentît à penser aux intérêts communs plus qu’aux siens propres, et daignât s’occuper « de la chose publique. » Dietrich de Quitzow, capitaine au service des Poméraniens, pourrait peut-être jouer ce rôle : malheureusement, s’il a la force, il n’aurait pas la conscience, ayant plus les instincts d’un brigand que ceux d’un fondateur d’Etat. Justement pendant que les Berlinois discutent ainsi, arrive la cohue lamentable des habitans de Straussberg, — la petite ville voisine que Quitzow vient de réduire en cendres. Ils sont conduits par leur malheureux bourgmestre, Thomas Wins. On lui a crevé les yeux, sa fille Agnès a perdu la raison, il est emporté dans la foule de ses concitoyens chassés de leurs demeures détruites, qu’il représente encore par son grand sentiment de l’injustice subie, par sa volonté de lutter, par son énergie à invoquer le droit méconnu, à crier vers les chefs responsables :


… L’Empereur dort,
Le margrave dort, — criez, criez et réveillez-les !
STROBAND (un des conseillers de Berlin).
Ils ont sans doute des oreilles pour entendre, mais ils les ferment.
WINS.
Alors, que notre cri monte dans les airs
Comme des nuages, qu’il frappe contre le ciel
Et, par la voix de fer du désespoir,
Qu’il brise le firmament sourd,
Jusqu’à ce que Celui qui est au ciel nous entende !
STROBAND.
Dieu ! Voilà longtemps qu’il ne s’occupe plus de la Marche.